“ Les passerelles entre enseignement et entreprises sont minces en République tchèque" (Daniel Gallissaires, Ubifrance)

Par - Le 16 décembre 2010.

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Établissement public industriel et commercial, Ubifrance constitue un réseau dédié à l'accompagnement des entreprises françaises dans leur démarche à l'exportation et à l'implantation sur les marchés étrangers. Les rencontres de la formation professionnelle et du e-learning se sont tenues à Prague le 28 novembre 2011, initiées par la mission économique Ubifrance en république Tchèque [ 1 ]Fondée en 2009, cette mission compte actuellement douze collaborateurs. Elles ont été l'occasion d'échanger avec Daniel Gallissaires, le directeur pays de l'institution et Foued Kefif, chargé de développement Nouvelle technologies, information et services.

Quels sont les besoins spécifiques du marché économique tchèque en matière de formation professionnelle?

Daniel Gallissaires : Depuis 2005, le marché de la formation tchèque a connu un développement très rapide, notamment grâce à l'aide d'1,83 milliard d'euros accordée par le Fonds social européen, soit 6,8 % de l'enveloppe totale accordée à la République tchèque pour la période 2007-2013 (27 milliards d'euros), ce qui fait de ce pays le deuxième récipiendaire de fonds provenant de l'UE après la Pologne. L'une des caractéristiques de ce marché demeure le haut degré de formation initiale des tchèques, notamment en matière technique et industrielle. Par ailleurs, ce pays compte de nombreuses Universités de qualité et Prague constitue un important hub [ 2 ]Plateforme régional. Pour autant, demeurent des secteurs pour lesquels la ressource locale reste inadaptée à l'image de celui de l'énergie nucléaire. Un cycle de formation spécifique est en train de se mettre en place dans le cadre d'un partenariat entre Areva et l'Université technique de Prague (CVUT), mais aussi des instituts de Brnö et de Plzen. Le domaine de l'aéronautique, autre secteur de pointe, se voit lui aussi concerné par la formation de ses techniciens. À ce titre, des opérations de formation communes ont été déployées conjointement par la fédération aéronautique tchèque, le Centre de formation français de l'aéronautique et l'organisme de formation Cegos, qui dispose des contenus nécessaires dans ce secteur.

Le e-learning constitue t-il un dispositif d'apprentissage adapté au public tchèque?

Foued Kefif : Les tchèques sont des pionniers en matière d'utilisation des nouvelles technologies numériques dans les ex-pays de l'Est. Nous observons une augmentation croissante du e-commerce, du nombre de connectés à Internet et de développeurs de logiciels qui apparaissent sur le marché. Il est possible d'imaginer un bel avenir à la formation numérique. Il est ressorti des interventions des experts locaux de la formation des adultes que les tchèques n'allaient pas vers la formation. Le développement de solutions e-learning pourrait constituer un moyen pour la formation de venir à eux.

Il apparaît que les formations dans le domaine commercial peuvent également avoir un bel avenir ici?

Daniel Gallissaires : Les tchèques sont d'excellents ingénieurs mais de piètres commerciaux. Le savoir-faire local en matière technique tant sur le hardware que le software n'est plus à prouver, mais le système de formation initial ne favorise pas l'émergence d'experts en marketing dans l'âme. Effectivement, les organismes français peuvent avoir énormément à leur apprendre en matière de développement commercial, d'autant que l'économie tchèque va connaître un taux de croissance de 2 % cette année, que le déficit, la dette et l'inflation sont sous contrôle et que le système bancaire est sain. L'activité tchèque est tournée vers l'international, notamment l'Europe. C'est un élément positif pour considérer que la formation des cadres aux techniques du marketing peut devenir un enjeu pour les entreprises tchèques dans un avenir très proche.

Le premier partenaire commercial et économique de la République tchèque est l'Allemagne, pays de l'apprentissage s'il en est. Malgré cela, ce dispositif de formation semble globalement inconnu de ce côté de la frontière.

Daniel Gallissaires : L'apprentissage n'existe pas en République tchèque, pas plus que les contrats d'alternance ou de période de professionnalisation. Tenter de créer des partenariats pour l'accueil des apprentis, voire des stagiaires, est particulièrement complexe. L'apprentissage ne fait pas partie de la culture locale.

Foued Kefif : Ce phénomène n'est pas propre à l'apprentissage puisque la notion même de stage professionnel est très peu développée du fait d'une réglementation extrêmement stricte en ce qui concerne les stagiaires. Ainsi, il n'existe aucune convention de stage dans les Universités ou les instituts d'enseignement tchèques. Un stage en entreprise s'effectue toujours dans le cadre d'un projet personnel et ces étudiants ne peuvent travailler au-delà de 150 heures rémunérées par an, pour lesquelles ils ne sont pas imposables. Au-delà de cette durée de travail, ils rentrent dans l'illégalité ou le bénévolat.

Daniel Gallissaires : Les passerelles entre enseignement et entreprise sont minces...

Peut-on observer les prémices de l'instauration d'un droit à la formation?

Daniel Gallissaires : Le cadre de la formation professionnelle n'est pas encore assez structuré pour qu'un projet aussi ambitieux puisse voir le jour. Toutefois, la question avait été évoquée par un précédent gouvernement. Malheureusement, la politique tchèque repose sur un système de coalition parlementaire et plusieurs gouvernements se sont succédé ces dernières années. Le projet de droit à la formation a été oublié lors de la valse des ministres.

Les partenaires sociaux (organisations syndicales et représentants patronaux) s'investissent-ils sur le thème de la formation professionnelle?

Daniel Gallissaires : Sur 6,1 millions d'actifs, il existe peut-être... 15 000 syndiqués. Le syndicalisme rappelle encore à beaucoup de tchèques l'embrigadement soviétique et les jeunes générations ne veulent même pas entendre parler de syndicats. Ce qui ne signifie pas qu'il n'existe pas de représentants du personnel parfois pugnaces dans les comités d'entreprise: ils ne sont simplement pas politisés et l'influence syndicale au plan national est anecdotique. Quant à l'organisation patronale, il s'agit davantage d'un lobby auprès du gouvernement que d'une représentation des employeurs.

Quel avenir pour les organismes de formation français en République tchèque ?

Daniel Gallissaires : Le marché économique tchèque tend à ressembler à celui des pays de l'Ouest. Les entreprises françaises déjà présentes ici ont transposé leurs propres dispositifs de formation à leurs collaborateurs locaux et se montrent prêtes à aider de nouveaux arrivants en la matière. Mais les tchèques sont rigoureux et exigeants quant à ce qu'on leur promet et donc, aux compétences qu'ils sont susceptibles de développer ou d'acquérir par la voie de la formation continue. Les organismes français doivent tenir compte de cet état d'esprit.

Notes   [ + ]

1. Fondée en 2009, cette mission compte actuellement douze collaborateurs
2. Plateforme