Bertrand Martinot (DGEFP) : {“La loi de 1971 était une loi optimiste et progressiste"}
Par Patricia Gautier-Moulin - Le 16 novembre 2011.
Les principaux apports de la loi de 1971, les différentes étapes qui ont marqué les relations entre l'État et les partenaires sociaux, les évolutions du rôle de l'État dans le système de formation et enfin ses priorités actuelles. Ce sont tous ces points qu'aborde Bertrand Martinot, délégué général à l'emploi et à la formation professionnelle dans un entretien accordé à L'Inffo.
Centre Inffo - Selon vous, quels ont été les principaux apports de la loi de 1971 et quel bilan dressez-vous de ses évolutions ?
Bertrand Martinot - La loi de 1971 est une loi optimiste et progressiste. Elle s'inscrit dans le contexte des “Trente glorieuses" avec un taux de chômage inférieur à 3 %. Le contexte est bien différent aujourd'hui. Cependant son socle - l'organisation de la formation professionnelle et l'obligation légale - s'est révélé assez adapté aux évolutions ultérieures. Malgré un bouleversement de l'environnement économique et social, les principes généraux de cette loi restent d'actualité. Jacques Delors, un des principaux inspirateurs de la loi de 1971 lui assignait alors cinq objectifs qui trouvent leur résonance dans les textes d'aujourd'hui :
l'insertion des jeunes : la loi sur l'alternance va être adoptée cet été ;
la conversion et reconversion des salariés : le contrat de sécurisation professionnelle (CSP) est également inscrit dans la loi sur l'alternance ;
la promotion professionnelle : elle est soumise aux aléas de la conjoncture mais la loi du 24 novembre 2009 prévoit bien d'élever les compétences des actifs ;
l'actualisation des connaissances : le plan de formation doit concourir à cet objectif et le maintien de l'employabilité des salariés est devenue une obligation de l'employeur ;
le développement général et culturel des travailleurs : c'est sans doute le maillon faible du système depuis l'origine.
Si on adopte un angle quantitatif, la loi de 1971 est un succès, quarante ans plus tard. L'injonction “former ou payer" a eu un effet d'entraînement incontestable : la contribution moyenne des entreprises s'élève à 3 % et près de 50 % environ des salariés suivent aujourd'hui une formation chaque année contre 15 % en 1970.
En revanche, l'application de cette loi a eu un succès beaucoup plus relatif dans certains domaines. Par exemple, la durée moyenne des formations a diminué et est inférieure à trente heures et on peut se demander si ce n'est pas au détriment de l'objectif de reconversion, alors même qu'il est aujourd'hui bien plus important que dans les années 1970. Autre point faible, nous n'avons pas réussi à combattre les inégalités d'accès : ce sont toujours les plus formés qui se forment le plus. Et la mutualisation se fait mal entre grandes entreprises et TPE-PME. Enfin, l'objectif de promotion sociale est insuffisamment atteint : si on compte 40 000 congés individuels de formation (Cif), cet outil touche très peu les salariés précaires, notamment les CDD.
Centre Inffo - Les liens entre accords nationaux interprofessionnels et textes législatifs correspondants vous semblent-ils s'être resserrés ou distendus ?
Bertrand Martinot - La formation professionnelle est depuis 1971 un exemple de la bonne articulation entre les Ani et la loi. Elle fait l'objet d'un assez fort consensus social, ce qui facilite les choses. Les partenaires sociaux parviennent depuis l'origine à dégager un consensus qui acquiert, de ce fait, une grande force politique vis-à-vis du gouvernement et du législateur. Toutes les lois en la matière, depuis 1971, ont été prises à la suite d'un Ani, bien avant la loi Larcher de 2007[ 1 ]Cette loi du 31 janvier 2007 prévoit notamment que tout projet gouvernemental impliquant des réformes liées à l'emploi ou la formation professionnelle doit d'abord comporter une phase de concertation avec les partenaires sociaux. Les projets législatifs éventuellement issus de ces négociations doivent ensuite être soumis pour avis à la Commission nationale de la négociation collective.. La loi du 24 novembre 2009 n'échappe pas à la règle : elle a bien été précédée d'une intense concertation qui a pour la première fois associé les conseils régionaux, et la loi a largement repris l'Ani du 7 janvier 2009.
Centre Inffo - Pour vous, quelles ont été les principales étapes du rôle de l'État dans le système de formation ?
Bertrand Martinot - L'État a des missions socles et d'autres qui évoluent. Pour les premières, il joue depuis 1970 un rôle régulateur du système de formation, il est garant de son bon fonctionnement. Il contrôle l'application des textes, assure la concertation avec tous les acteurs, et agrée les organismes paritaires collecteurs. L'État exerce cette fonction régulatrice sur des modes qui se renouvellent. Par exemple, il va l'assurer prochainement à travers les conventions ou contrats d'objectifs et de moyens (Com) qui seront signés avec les Opca et qui sont des outils modernes de régulation.
L'État est moins financeur qu'à l'époque de la loi de 1971, la décentralisation est passée par là. Il conserve toutefois le financement de la formation de certains publics spécifiques et il anime aussi un programme dédié aux compétences clefs auquel il consacre 54 millions d'euros par an. Enfin, il intervient via le FSE.
Troisième fonction : les relations entre l'État et les partenaires sociaux des branches. L'État agit de plus en plus sur un mode partenarial. Son rôle s'est renforcé avec le développement de la politique contractuelle qui a bénéficié de 130 millions d'euros en 2010 et qui s'est traduite par exemple par le cofinancement de nombreux Engagements de développement de l'emploi et des compétences (Edec).
Centre Inffo - Quelles sont maintenant les priorités de l'État ?
Bertrand Martinot - D'une façon générale, l'État tend à placer le lien emploi-formation au coeur du système. Cette évolution s'est concrétisée par la fusion en 1997 de la Délégation à l'emploi (DE) et de la Délégation à la formation professionnelle (DFP) au sein de la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP). Nous sommes passés d'une vision dans laquelle il s'agissait de développer la formation professionnelle pour elle-même, à une vision plus axée sur la nécessité des reconversions et vers l'employabilité des salariés en place, notamment des faibles niveaux de qualification et, plus récemment, vers l'individualisation des parcours, comme l'illustre le Dif, voulu par les partenaires sociaux et repris par la loi de novembre 2009.
L'Ani de 2003 et la loi de 2004 ont représenté des avancées majeures en matière d'instruments de la formation professionnelle qu'il faut s'attacher à développer. Quant à la dernière réforme de 2009, elle s'inscrit dans une des grandes priorités de l'État : améliorer le fonctionnement du système, et ceci selon trois axes. Le premier passe par un accroissement de la performance globale du système, son efficience et sa transparence. Le deuxième vise à assurer la montée en puissance de l'alternance sous toutes ses formes. Enfin, troisième point, une meilleure orientation des fonds de la formation vers les publics fragiles et les TPE-PME.
Notes
1. | ↑ | Cette loi du 31 janvier 2007 prévoit notamment que tout projet gouvernemental impliquant des réformes liées à l'emploi ou la formation professionnelle doit d'abord comporter une phase de concertation avec les partenaires sociaux. Les projets législatifs éventuellement issus de ces négociations doivent ensuite être soumis pour avis à la Commission nationale de la négociation collective. |