Noël Terrot (Gehfa) : {“Un système libéral tempéré par une politique contractuelle" }
Par Nicolas Deguerry - Le 16 novembre 2011.
Expert en droit social, créateur du Centre interuniversitaire de recherche et d'information sur l'éducation permanente (Cuidep) de Grenoble, et longtemps coordonnateur universitaire Rhône-Alpes sur la formation continue et l'apprentissage, Noël Terrot est aujourd'hui membre du conseil d'administration du Gehfa (Groupe d'étude-histoire de la formation des adultes). Il revient ici sur les prémisses et les fondements de la loi de 1971 (voir aussi article sur le bilan et les évolutions depuis 1971).
Centre Inffo - Quelles sont les prémisses de la loi de en 1971 ?
Noël Terrot - La loi de 1971 est apparue dans un contexte donné et repose sur toute une Histoire antérieure. Il convient d'abord de rappeler que la loi a été votée à l'unanimité moins une voix, celle de Michel Rocard, qui la trouvait trop libérale. Cet unanimisme traduit en fait une volonté générale de répondre au choc provoqué par mai 68. En outre, il ne faut pas oublier que trois textes précèdent la loi et la nourrissent.
Il y a d'abord toutes ces institutions et lois qui depuis les années 1830 forment le socle historique de l'éducation des adultes et, en particulier, la loi Debré de 1959 sur la promotion sociale.
Puis il y a ces trois textes où la loi de 1971 puise l'essentiel de son contenu et, d'abord, la loi de 1966, qui fixe les principes, les mécanismes et les outils juridiques. Cette loi, qui parle d'absence pour formation, de conventionnement, de déconcentration, est complétée par la loi de 1968 relative à la rémunération des stagiaires qui définit la nomenclature des actions à mettre en œuvre et qui crée un nouvel outil, le Fonds d'assurance formation. La loi de 1971 va reprendre pour l'essentiel et affiner ces mesures.
Troisième texte, l'accord national interprofessionnel du 9 juillet 1970, qui crée le principe du congé formation et celui d'une intervention des représentants du personnel dans la politique formation de l'entreprise.
La loi du 16 juillet 1971, va donc préciser, expliciter, organiser l'ensemble des acquis antérieurs. Par contre, elle y ajoute l'obligation de participation financière des employeurs, le fameux 1 %, et le contrôle de cette obligation.
Centre Inffo - Quels sont les fondements du système ?
Noël Terrot - Cette loi est fondée sur deux principes essentiels : le libéralisme et la concertation.
D'abord, le principe libéral : la formation continue devient un marché et il y a étanchéité entre l'action de l'État et l'action des entreprises. En effet, un strict partage des rôles est établi : à l'entreprise, l'ensemble de la formation des salariés, plan et congé confondus, sous la seule autorité du chef d'entreprise ; à l'État, la gestion des autres bénéficiaires, demandeurs d'emploi, jeunes, publics protégés, etc., et la coordination du système.
Ce principe libéral est tempéré par une politique contractuelle – la grande idée de Jacques Delors – érigée en principe fondamental de fonctionnement. Cette politique contractuelle revêt plusieurs aspects. Premièrement, l'accord doit en principe précéder la loi, ce qui se vérifie bien avec la liaison Ani de 1970 et loi de 1971. Deuxièmement, une politique concertée est mise en place à tous les étages de l'administration de l'État et dans les entreprises. Du côté de l'État, ce rôle est confié à la Délégation à la formation professionnelle (DFP), fonction occupée alors par Jacques Delors et, en région, aux délégués régionaux à la formation professionnelle. Dans les entreprises, c'est le rôle attribué au comité d'entreprise ou aux délégués du personnel. Dernier élément de cette politique contractuelle, la gestion paritaire au plan financier, des Fonds d'assurance formation.
Centre Inffo - Cette organisation est-elle alors jugée satisfaisante ?
Noël Terrot - Oui, mais des ambiguïtés existent. Pour Jacques Delors et les syndicats, c'est d'abord et avant tout une loi sur la formation professionnelle. D'où son titre : “Loi portant organisation de la formation professionnelle continue". Mais les sénateurs, toujours humanistes, vont ajouter, à la demande de quelques “barons" de l'éducation populaire, la mention “dans le cadre de l'éducation permanente". Accepté par tous, cet ajout va être éminemment porteur d'ambiguïté et créateur de désillusion, donc d'amertume. Ceci, notamment à partir de la crise de 1973, qui va conduire à créer de nombreuses actions en direction des jeunes et des demandeurs d'emploi, dont le financement va se faire au détriment d'actions à finalité plus culturelle.
Centre Inffo - Quelles ont été les grandes lignes d'évolution ?
Noël Terrot - Il y a évolution, mais aussi, et surtout peut être, rupture. La rupture a lieu autour de 1976. Du fait de la crise, la notion même d'éducation permanente et de développement culturel va peu à peu s'estomper, voire disparaître. Les illusions qui avaient été créées dans le monde des associations de l'éducation populaire vont tomber. Je situe cela en 1976, date à laquelle un avenant à l'accord de 1970 dissocie plan et congé individuel de formation. Les chiffres vont alors faire apparaître que très peu de salariés, environ 30 000 par an, bénéficient du congé, qui avait d'abord une finalité culturelle et personnelle. D'où la désillusion et l'amertume des associations, d'éducation populaire en particulier. Le “glas de l'éducation permanente", comme l'écrit Yves Palazzeschi, sonne à travers un édito de la revue Éducation permanente publié fin 1976[ 1 ]“Un temps, l'éducation permanente fut un rêve collectif". Éducation permanente n° 36, nov.-déc. 1976..
Notes
1. | ↑ | “Un temps, l'éducation permanente fut un rêve collectif". Éducation permanente n° 36, nov.-déc. 1976. |