Jean Wemaëre (FFP) : “La loi Delors a rendu solvable la demande de formation professionnelle"
Par Knock Billy - Le 16 novembre 2011.
Jean Wemaëre, directeur général du groupe de formation Demos, est président de la Fédération de la formation professionnelle (FFP), organisation patronale du secteur de la formation privée.
Centre Inffo - Créé en 1972, Demos a vécu l'évolution de notre système de formation professionnelle continue. Quelles grandes évolutions avez-vous constatées depuis la loi de 1971 ?
Jean Wemaëre - La loi de 1971 a été votée dans un climat d'après 1968, après les Trente glorieuses. Le droit à la formation était considéré comme un acquis social pour développer sa personnalité et son employabilité. La formation était un “plus", à côté, si l'on veut, des congés payés.
Dix ans après, un changement est apparu lorsque la formation a été comprise comme pouvant servir à la fois au développement de la personne et de l'entreprise. Alors, s'est développé le discours sur l'investissement et le retour sur investissement, obligeant à penser “résultats" en formation. Les entreprises font désormais plus attention à leur budget et souhaitent davantage de rentabilité en la matière.
Les métiers changeant et la stabilité des métiers commençant à être ébranlée, s'impose progressivement l'idée de se former “toute sa vie". Avec l'apparition de nouveaux métiers et de nouvelles règlementations, s'ouvre un champ nouveau de besoins, obligeant l'entreprise à considérer la formation comme un élément nécessaire à l'amélioration de sa compétitivité, voire de sa survie.
Le second grand changement intervient au début des années 1990, avec le concept de “compétences", grâce aux travaux d'Alain Dumont, en charge au Medef de l'éducation et de la formation, qui démontre que la formation aide à améliorer la compétence (l'individu développe une capacité, en situation professionnelle, à mobiliser ses ressources et à résoudre un problème). Une réflexion qui aboutira à l'accord de 2004, à la création du droit individuel à la formation (Dif) et à la reconnaissance des entretiens d'évaluation et de bilan de compétences. Faisant ainsi prendre conscience à l'individu de la nécessité de s'investir et d'être lui-même moteur de l'acquisition de ses compétences.
Le troisième choc est pédagogique, avec notamment l'introduction des nouvelles technologies (TIC) dans la formation professionnelle : le savoir s'acquiert à tout moment et n'importe où, nous faisant passer d'une relation pédagogique bilatérale (où le formateur distribue un savoir à des stagiaires) à une relation pédagogique multilatérale (l'acquisition du savoir est déportée de la classe à l'environnement). Non seulement le formateur est devenu un “accoucheur de connaissances", mais en plus, le savoir circule entre les participants, à travers le web 2.0, notamment les réseaux sociaux, les bases documentaires, etc.
Centre Inffo - Passant d'une pédagogie collective à une pédagogie individuelle...
Jean Wemaëre - En effet. L'un des grands challenges des organismes de formation, c'est la productivité. Le nombre de plus en plus croissant de personnes à former les oblige à améliorer leur savoir-faire : ils ne pouvaient pas - ou plus - répondre à autant de demandes en formation en gardant la bonne vieille pédagogie d'un formateur pour 30 personnes. Voici quarante ans, le nœud de la formation, c'était le formateur. Aujourd'hui, c'est aussi des actions d'analyse, de conseil, d'information, des analyses de cas, des simulations, de la certification, etc. La production, l'acte pédagogique et l'apprentissage ont complètement changé.
Autre grande évolution pédagogique : l'évaluation du formateur (aussi bien par les stagiaires que par lui-même). Le fait de demander à un formateur de faire un déroulé pédagogique, de proposer des supports de formation, de travailler sur des études de cas (à partir de cas concrets), d'intégrer des jeux ou des simulations, etc., constituent des avancées que l'on oublie souvent d'évoquer, tant cela paraît aujourd'hui si évident.
Il faut aussi rappeler la grande avancée opérée grâce à la recherche permanente de la qualité. En effet, l'une des premières actions initiées par notre branche professionnelle, dès sa création voici dix-huit ans, a été la mise en place, en partenariat avec les pouvoirs publics et les acheteurs, d'un office professionnel de qualification des organismes de formation professionnelle. Ceci a permis à plus de 800 prestataires privés de développer une offre de qualité qui satisfasse au mieux les besoins des personnes formées. La mise en place de process Iso au sein des entreprises de formation est aussi un élément d'évolution très important, car ils supposent une démarche très rigoureuse de conception, de gestion de l'offre, d'évaluation permanente des prestations et des dysfonctionnements, etc. L'évolution de la qualité renvoie à l'évaluation (des actions de formation, des connaissances ou des acquis, des compétences, la liaison avec les indicateurs économiques ou le retour sur investissement, etc.) pour laquelle nous avons encore beaucoup d'efforts à faire.
Centre Inffo - En quoi l'offre privée a-t-elle changé, en quarante ans de formation professionnelle ?
Jean Wemaëre - Il faut bien le rappeler : en ayant eu le courage de prendre des risques financiers et techniques, les opérateurs privés ont joué un rôle déterminant dans ce domaine. En quarante ans, le marché de l'offre privé de formation s'est développé et accru. Même si une partie est toujours réalisée par les entreprises elles-mêmes, les prestations de formation sont principalement confiées aux opérateurs extérieurs, dont deux sur trois sont des organismes sous statut privé. Un élément majeur à signaler est l'atomisation de l'offre. Il faut reconnaître qu'il n'existe que très peu d'acteurs à dimension économique importante, voire internationale.
Mais l'arrivée des organismes privés a créé et poussé le marché. Nous avons été vraisemblablement aidés par la loi Delors, qui a rendu solvable la demande de formation professionnelle. Au point qu'aujourd'hui, la suppression de l'obligation fiscale n'empêcherait pas les entreprises de continuer à former leurs collaborateurs. La formation est devenue un besoin économique auquel les entreprises consacrent un budget de plus en plus important.
Centre Inffo - Qu'est-ce que le passage de la “formation professionnelle continue" à la “formation professionnelle tout au long de la vie" a réellement changé ?
Jean Wemaëre - L'évolution des métiers, ainsi que les différents changements économiques et sociaux que nous connaissons depuis quarante ans, font que l'on ne peut se contenter d'une simple formation “one shot". Pour maintenir son employabilité, il faut faire évoluer ses compétences ; et pour cela, il n'y a rien d'autre que la formation dans la durée. Pour qu'il soit moteur de son développement, il fallait donner à l'individu les moyens, en lui créant notamment un droit (Dif) pour solvabiliser sa demande individuelle. Dans ce sens, il y a eu beaucoup d'avancées.
Centre Inffo - Certains observateurs jugent le système beaucoup trop complexe. Êtes-vous de ceux-là ?
Jean Wemaëre - Tout le monde est d'accord pour reconnaître que l'une des faiblesses de notre système de formation professionnelle est sa réglementation. Tous, nous sommes d'avis qu'il faut l'alléger, en n'ajoutant pas de façon indéfinie des strates de texte à chaque tentative de réforme ! Nous avons un dispositif par public et par catégorie : pour les jeunes, les seniors, les demandeurs d'emploi, les handicapés, etc. Le droit à la formation étant lié au statut d'âge, de travail, etc., il est difficile d'y voir clair.
Il faut noter que la complexité de notre dispositif de formation fait qu'au sein de l'entreprise, le responsable formation se trouve aujourd'hui dans une logique plus administrative que pédagogique, et est tellement préoccupé par l'aspect réglementaire et de gestion qu'il oublie que la formation est l'outil du développement des emplois, des compétences et de l'entreprise !
D'où la bonne idée de sécurisation des parcours, en séparant la formation du statut de l'individu.
En tant que président d'une fédération des prestataires privés, il me paraît important (et nous le ferons savoir aux candidats à la présidentielle) de créer un “compte épargne" individuel (CEF) qui sera abondé par le Dif, les indemnités de chômage assorties, la Région (si, en charge de la formation, elle veut aider des individus dans le développement de leurs compétences), etc. L'individu gèrerait lui-même son CEF, et donc son employabilité. Dans la continuité de cette idée, nous pourrions même imaginer que les dépenses de formation financées par un tel CEF soient déductibles de l'impôt sur le revenu. Ce qui est une autre manière pour l'État de co-financer la formation. Et de donner plus de sens à la “formation tout au long de la vie".