Questions à Michel Clézio, président national de la Fédération des Urof

“Des pouvoirs excessifs à certains mandataires peu scrupuleux"

Par - Le 16 avril 2012.

Actuellement, quelles difficultés les organismes de formation rencontrent-ils dans l'application du Code des marchés publics à la formation professionnelle ?

La première difficulté est d'ordre général et tient
aux types de relations qu'induit l'achat de prestations au titre des marchés. Nous avons constaté un délitement du lien collaboratif nécessaire à la conception, à la mise en œuvre,
à l'ajustement et aux comptes rendus de l'exécution d'une action de formation. Nous sommes passés
du collaboratif à l'injonctif, ce qui, dans un champ qui requiert que tout le monde mette en synergie ce qu'il fait de mieux, se révèle contreproductif.

Par ailleurs, le marché induit sur certains segments une forte volatilité, qui est contradictoire avec toutes les injonctions liées à la stabilité des équipes, à leur professionnalisation et à l'adaptation des équipements. Nous ne pouvons que constater également que le mode d'allotissement qui nécessite des groupements d'opérateurs a laissé libre cours aux rapports de forces en conférant, parfois, des pouvoirs
excessifs à certains mandataires peu scrupuleux.

Des exemples ?

La prudence et l'éthique voudraient que les mandataires garantissent à leurs cotraitants d'être à l'abri d'une éventuelle déconfiture par des comptes “dédiés" qui, par nature, sont insaisissables en cas de redressement judiciaire ou de liquidation des mandataires.

Si un organisme utilise sa position dominante pour imposer que toutes les sommes perçues au titre du marché obtenu en commun transitent par ses comptes courants, qui ne sont pas ouverts au nom du groupement, mais en son nom propre, toutes ces sommes seront considérées par l'administrateur judiciaire comme appartenant à l'actif de cette entreprise. Imagine-t-on les dégâts collatéraux chez les autres organismes qui se retrouvent à leur tour en difficulté du fait de
ces impayés ? Nous pourrions citer plusieurs exemples de ce type, rien que pour ce début d'année 2012 et pour des sommes considérables !
Autre exemple parlant : les marchés induisent des compétitions qui peuvent donner lieu à des situations absurdes, comme ces organismes qui, loin de leur base, remportent des marchés pour des valeurs dépassant plusieurs fois leur chiffre d'affaires, et qui, dans l'incapacité de les mettre en œuvre, les sous-traitent à d'autres organismes qui, eux-mêmes, doivent s'appuyer sur une kyrielle d'organismes locaux pour enfin s'appuyer sur des moyens existants ! Et que dire de cet autre organisme qui revend des lots obtenus à des opérateurs locaux qui les ont perdus, en gardant pour lui 40 % de la valeur des lots remportés ?

Et sur le plan de la qualité des personnels affectés, veut-on que
l'on évoque les contrats de professionnalisation recrutés à la va-vite, ou l'obligation faite à ces formateurs recrutés rapidement d'adopter le statut d'auto-entrepreneur ? Ce qui s'est bâti sous nos yeux et qui parfois a été mis en œuvre avec un autisme juridique qui constitue aussi une dérive, est tout simplement absurde.

Quel rôle la Commission européenne joue-t-elle dans ce débat ?

Je ne suis pas sûr qu'il y ait une doctrine en œuvre sur ce sujet à la Commission, mais plutôt des compromis entre les directeurs généraux, qui ont chacune leur culture propre, et un certain pragmatisme très anglo-saxon, qui tend à prendre en compte les évolutions de contexte. Or, la crise économique que nous vivons et ses conséquences sociales ont très certainement influencé les assouplissements qui figurent dans le “paquet Almunia-Barnier" Par ailleurs, si la Commission a une pratique institutionnelle ouverte au dialogue avec les “parties prenantes", il reste que certains États, dont la France, ont joué un rôle important dans l'évolution de la Commission sur ces questions.

Les propositions de directives de Michel Barnier (commissaire européen chargé du marché intérieur) concernant les marchés publics, d'une part, et les concessions de services, d'autre part, si elles ne sont pas dénaturées par le Parlement et le Conseil, constituent de réelles avancées en faisant le constat que “les services sociaux, de santé et d'éducation présentaient des caractéristiques spécifiques qui les rendaient impropres à l'application des procédures selon lesquelles les marchés de services publics sont normalement attribués". De ce fait, “les pouvoirs publics doivent disposer d'un large pouvoir discrétionnaire dans l'organisation du choix du prestataire" et “seul le respect des principes fondamentaux de transparence et d'égalité de traitement doit être exigé"...

Si l'on y ajoute la décision du 26 décembre 2011 sur les aides d'État, qui est en application depuis le 31 janvier dernier et permet de financer les services sociaux mandatés sans limite de seuil ni autorisation préalable de Bruxelles, nous obtenons un ensemble de mesures qui, si elles sont appropriées de façon adéquate, constituent un pas très important de la Commission vers la reconnaissance de la particularité de ces services.

Il ne reste plus qu'à relever significativement les seuils de minima en dessous desquels le formalisme est extrêmement allégé pour le financement des opérateurs de taille modeste, et nous pourrons affirmer que la Commission aura non seulement pris la mesure des enjeux liés au financement des services sociaux, mais aussi doté les États membres de tous les outils pour mener une politique adaptée aux enjeux des territoires.

Les conditions à respecter pour un SSIG efficace

La première condition à respecter pour être reconnu comme SSIG n'est pas d'ordre juridique, mais culturel, estime Michel Clézio. En effet, “l'Union européenne a une conception fonctionnelle du service public. Celui-ci n'est pas l'institution, mais le service rendu à la population pour satisfaire l'intérêt général. Ce qui compte, c'est la mission et non l'organe. C'est la nécessité impérieuse d'accomplissement de la mission qui justifie les dérogations exorbitantes du droit commun en matière de contractualisation, notamment".

Par ailleurs, cette qualification de service public s'accompagne d'une “exigence de transparence par le mandatement des prestataires de formation professionnelle chargés de la gestion du SSIG de formation professionnelle". Or, en France, explique le président de la Fédération des Urof, “seules les Régions ont dans leur quasi-totalité qualifié la formation de service d'intérêt général, avec souvent le sentiment d'une fragilité juridique lié au fait que l'État pourrait contester la légitimité d'une telle démarche, du fait de l'absence de source législative ou réglementaire explicite, notamment lorsque cette qualification permet de déroger aux règles des marchés publics". Ce que l'État n'a toutefois jamais fait ! Néanmoins le collectif SSIG-FR considère qu'“il revient au législateur de qualifier les services sociaux de services d'intérêt général de la même façon qu'il lui revient d'intégrer dans le droit interne l'exigence de mandatement et, pour cela, d'établir une convention de partenariat d'intérêt général (CPIG) spécifique pour les services sociaux".

Une “convention de partenariat d'intérêt général"
Cette CPIG, précise Michel Clézio, aura pour objectif d'“encadrer le recours à la subvention aux services à vocation sociale mis en œuvre par tout type d'opérateur, d'attribuer les critères d'euro-compatibilité à ces financements publics, d'organiser en parfaite lisibilité les systèmes conventionnels déjà existants avec une portée générale visant à reconnaitre sans détours les missions d'intérêt général".
Plutôt qu'un texte spécifique à la formation professionnelle, il serait donc souhaitable d'adopter “un texte législatif cadre définissant et qualifiant l'ensemble des services sociaux et incluant la création d'un comité national de suivi des nouveaux modèles de convention, CPO et CPIG". Selon Michel Clézio, ces conventions devraient être à la fois “compatibles avec les exigences de transparence de la commission et de la Cour de justice et appropriables par les opérateurs, même de dimension modeste".

Relever les seuils de “minima"

C'est pour cela que, soutient-il, les seuils de “minima" − les financements dont on estime de par leur volume qu'ils n'ont aucun impact sur le marché intérieur et qu'ils n'ont qu'une vocation locale − “doivent être relevés de façon à financer avec toute la souplesse et la réactivité possible des activités sociales dont le montant annuel n'excède pas 800 000 euros par an". Mais, pour l'heure, la proposition de la Commission européenne est de les relever à 500 000 euros par période de trois ans.

Nouvelle version du Guide des bonnes pratiques en matière de marchés publics

Le Journal officiel du 15 février dernier a rendu publique la version actualisée du Guide des bonnes pratiques en matière de marchés publics. En effet, explique le ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie, “les modifications récentes du droit de la commande publique [ 1 ]Notamment le décret n° 2011-1000 du 25 août 2011 modifiant certaines dispositions applicables aux marchés et contrats relevant de la commande publique. , ainsi que les précisions apportées par la jurisprudence rendent nécessaire [cette] nouvelle version".

Issue de la circulaire du 14 février 2012, celle-ci abroge et remplace la circulaire du 29 décembre 2009. Le Guide des bonnes pratiques, qui n'a aucune portée réglementaire, est destiné à accompagner les acheteurs publics dans l'élaboration et l'exécution de leurs marchés.
Depuis 1er janvier 2012, les montants des seuils de procédure sont :

  pour les marchés de fournitures ou services : 130 000 euros HT pour l'État, 200 000 euros HT pour les collectivités territoriales et 400 000 euros HT pour les entités adjudicatrices ;

  pour les marchés de travaux : 5 millions d'euros HT.

Notes   [ + ]

1. Notamment le décret n° 2011-1000 du 25 août 2011 modifiant certaines dispositions applicables aux marchés et contrats relevant de la commande publique.