Hommage à Pierre Caspar, par Jean-Luc Ferrand
Par Jean-Luc Ferrand - Le 25 novembre 2020.
Je travaillais déjà au CNAM quand Pierre CASPAR a déposé sa candidature comme titulaire de Chaire de Formation des Adultes en 1983. L'annonce de l'arrivée au CNAM dans mon secteur d'activité d'une telle « pointure », un des pionniers de la formation en France, n'a pas été sans m'intimider. Appréhension vite dissipée : dès les premiers contacts et les premiers échanges de travail, ce sont la simplicité de Pierre, son empathie et sa capacité à se mettre au niveau des autres qui m'ont vraiment impressionné et séduit. Et ce sentiment ne s'est pas démenti chez moi jusqu'à son départ en retraite, plus de vingt ans plus tard.
Quelques temps après, Pierre m'a fait l'honneur et la confiance de me confier un enseignement à la Chaire alors que je n'en faisait pas officiellement partie puis en 1990 d'y venir à temps plein pour assurer les enseignements et la recherche sur les aspects institutionnels de la formation professionnelle. Pendant plus de quinze ans, Pierre a donc été officiellement mon patron, mais d'abord et surtout un collègue, un inspirateur, parfois un complice, et de fait je m'en rends compte en rédigeant ces lignes, un Maître au sens fort du terme, mais sans le côté académique. En effet sa seule présence, sa capacité de travail, sa puissance intellectuelle, son aptitude à fédérer les gens faisaient que j'avais instinctivement envie, avec mes modestes capacités, de m'en inspirer.
Pierre était déjà un bourreau de travail. Combien de fois après les cours que je dispensais le soir je constatais qu'il était encore dans son bureau, qui jouxtait le mien, et qu'il en partirait bien après moi alors qu'il arrivait tôt le matin. Il mettait aussi en œuvre des méthodes de travail d'une rigueur et d'une efficacité vraiment impressionnante, sans doute liées à sa nature profonde de vouloir résoudre le plus de questions ou de problèmes possibles, et à son passage dans les universités américaines. Et malgré cela, sauf impératif ou urgence majeure, il était prêt à prendre du temps pour échanger sur des sujets divers, prendre des nouvelles, créer un climat de confiance.
Pierre c'était aussi une pensée à caractère universaliste et humaniste, capable d'embrasser les multiples facettes de la formation (institutionnelle, technique, méthodologique, pédagogique) alors que la tendance générale est de plus en plus à la spécialisation. Et pour lui la formation n'avait de sens que par rapport à son utilité sociale, que ce soit vis-à-vis des personnes, des organisations et de la société dans son ensemble. Ce qui l'amenait à avoir une vision quasi anthropologique de l'éducation. Lors de conversations privées et amicales que j'ai eu la chance d'avoir avec lui, j'ai pu constater qu'il s'intéressait aussi, et pour ces raisons, à la société et à la pensée orientales. Toutes choses qui résonnaient profondément en moi.
J'avais envie de s'inspirer de Pierre aussi parce qu'il savait mieux que quiconque aller à l'essentiel. Qui n'a pas été subjugué par ses vertigineuses synthèses de colloque, où chaque participant avait, de sa place et à son niveau, le sentiment d'être représenté et d'avoir été entendu. Cette fabuleuse capacité s'appliquait aussi quotidiennement dans la travail où chaque réunion ou journée de réflexion donnait lieu de sa part à une synthèse des points principaux, pas seulement brillante techniquement, mais qui surtout donnait du sens, et fédérait les prises de positions des différents participants.
Enfin il savait être humble, faire confiance aux autres et même s'en inspirer. Combien de fois m'a-t-il convié à déjeuner – y compris chez lui - pour avoir mon avis sur telle ou telle question d'actualité de la formation, tel dispositif institutionnel qu'il estimait ne pas suffisamment maîtriser. Avoir le sentiment, ne serait-ce que quelques heures, d'être au niveau du Maître, n'est-ce pas une situation inédite, rare, valorisante ? Merci Pierre pour tout cela.
J'ai essayé de m'inspirer de l'exemple de Pierre CASPAR, à mon très humble niveau bien sûr, jusqu'à tout récemment, dans des interventions post-retraite. Travailler pendant plus de quinze ans avec lui fut un plaisir, un honneur et un privilège rares, que peu de gens ont dans leur vie professionnelle. Pierre tu vas me manquer, tu vas manquer à beaucoup de gens, tu vas manquer cruellement au monde de la formation qui aujourd'hui, dans ses dérives technicistes, commerciales et gestionnaires, aurait plus que jamais besoin de Maître comme toi.