Au Togo, malgré les demandes, la VAE n'est pas reconnue comme voie de certification

Par - Le 05 avril 2016.

En Afrique, les pratiques de reconnaissance des acquis sont très récentes et suscitent curiosité et résistances. « L'avènement de la pratique de la validation des acquis de l'expérience (VAE) démontre l'importance de cette approche sur le marché de l'emploi. Il s'agit d'un réel outil de promotion de l'égalité des chances. Si on constate une réelle volonté dans la prise en compte de la politique de la VAE dans certains pays africains, il faut toutefois noter que cette expérience peine à prendre corps dans bon nombre d'entre eux », a indiqué Bernard Tossou Atchrimi, enseignant-chercheur et membre de la commission d'homologation des diplômes à l'Université de Lomé (Togo), le 18 mars, lors du colloque dédié à un état des lieux et aux perspectives de la VAE, organisé par Les 2 Rives [Cabinet spécialisé dans l'accompagnement dans la validation des acquis de l'expérience.[/footnote] et le [laboratoire C3S de l'Université de Franche-Comté [ 1 ]Laboratoire universitaire pluridisciplinaire où les recherches menées croisent la sociologie, l'ethnologie, l'histoire, les sciences de l'éducation et la biologie.. Parmi les obstacles à la mise en place d'une politique de VAE, la faiblesse ou l'inexistence d'un cadre institutionnel. « Le Cameroun, le Sénégal, la Côte d'ivoire et le Burkina Faso sont les pays où la réflexion sur la VAE a bonne place dans les politiques publiques », a précisé l'universitaire. Au Togo, a-t-il expliqué, « le système éducatif s'articule principalement autour de la formation initiale et du diplôme. Ce dernier semble servir d'un prisme à travers lequel est appréciée la qualification des candidats à l'emploi. À l'inverse, les expériences internes à l'entreprise et celles acquises au travers des circuits non scolaires ne sont pas prises en compte dans leur valorisation ». En effet, « comme beaucoup de pays de l'Afrique francophone, le Togo souffre de “diplômite". L'accès à l'emploi et la promotion professionnelle y sont basés plus sur le diplôme que sur les compétences et l'expérience. Ce qui n'est pas le cas dans les pays anglophones », a reconnu Jules Apenuvor, chargé de recherche et développement au cabinet VAE Les 2 Rives.

Retour des seniors à la fac

Dans ce petit pays ouest-africain, «les jeunes accèdent à l'emploi, diplôme en poche, avec leurs savoirs universitaires, mais sans grande expérience. Ils doivent tout apprendre en entreprise sous la direction des plus anciens, sans diplôme. Ainsi, par exemple, le sentiment de se faire dépasser par les mutations technologiques qui s'opèrent dans les unités économiques, et dont les nouveaux arrivants sont souvent porteurs, frustre les plus anciens. Face à ces changements, la seule alternative qui s'impose à eux est le retour aux études ou de faire capitaliser en diplôme leurs expériences », a témoigné Bernard Tossou Atchrimi. Qui relève un nombre de plus en plus élevé de seniors dans les amphis universitaires togolais, en vue de l'obtention d'un master a minima afin de tenir la concurrence. Les personnes disposant de moyens peuvent obtenir ce diplôme par la VAE auprès de certificateurs étrangers comme les grandes écoles ou les universités françaises par exemple, ce qui est susceptible de renforcer les inégalités sociales.

Vide juridique

« Il y a un vide juridique qui fait que la VAE n'est pas reconnue comme voie de certification au même titre que la formation continue, la formation initiale et l'apprentissage. Cette situation est renforcée par une crainte quasi identique à celle des universités françaises à la création du dispositif de VAE en 2002, celle de “brader" les diplômes. Dans le cas togolais, cela pourrait se comprendre compte tenu des risques de corruption et de falsification dont on ne saurait faire abstraction », a indiqué Jules Apenuvor.

Pourtant, il se révèle que l'institutionnalisation de dispositifs de VAE dans les pays d'Afrique serait pertinente puisqu'elle pallierait les insuffisances des systèmes éducatifs et permettrait la reconnaissance des apprentissages non formels fortement développés dans nos pays. À l'Université de Lomé, « la VAE est essentiellement conçue comme un moyen au service des parcours de formation, voire un mode d'accès aux formations », a indiqué Bernard Tossou Atchrimi

Réelle demande sociale

Au-delà des craintes, certes légitimes, il faut reconnaître qu'il y a une réelle demande sociale concernant la validation des acquis. «Pour résorber le chômage, aider à la mobilité sociale et professionnelle et assurer le développement des entreprises qui ont obligation de performance tout en assurant leurs responsabilités sociales, la VAE apparaît comme une voie pertinente à explorer », a précisé Jules Apenuvor. Qui juge « important de créer un cadre de concertation et de réflexion qui permette aux acteurs concernés (entreprises, État, certificateurs et organismes paritaires) de penser les modalités de mise en œuvre d'une réelle politique de promotion de la VAE. Une telle initiative permettrait ainsi à l'État de créer un dispositif rigoureux et juste ». Un chantier auquel le cabinet Les 2 Rives se dit prêt à participer aux côtés d'acteurs togolais (État, universités, entreprises, etc.).

Notes   [ + ]

1. Laboratoire universitaire pluridisciplinaire où les recherches menées croisent la sociologie, l'ethnologie, l'histoire, les sciences de l'éducation et la biologie.