Jérémy Lamri, entrepreneur, auteur et co-fondateur de Tomorrow Theory
L'Afnor publie une norme expérimentale sur les habiletés socio-cognitives
En chantier depuis trois ans, la norme de l'Afnor (Association française de normalisation) sur les soft skills (compétences comportementales) vient d'être rendue publique. Trois nouvelles années s'ouvrent désormais avant que cette norme expérimentale n'évolue en norme NF. Le point avec Jérémy Lamri (Tomorrow Theory), coordinateur du groupe de travail de l'Afnor.
Par Valérie Grasset-Morel - Le 05 février 2025.
Un consensus qui a représenté un sacré défi pour la trentaine de participants au groupe (acteurs du recrutement, organismes de formation, chercheurs sur les compétences, consultants, France Stratégie…), compte tenu des multiples définitions et référentiels qui ont cours sur les soft skills. « C'est la raison pour laquelle les travaux qui devaient aboutir à l'automne 2023 n'ont pu être finalisés qu'en janvier 2025. Nous avons dû faire un travail de déconstruction des mentalités extrêmement important », indique Jérémy Lamri, dirigeant co-fondateur de Tomorrow Theory, co-auteur en 2022 du « Défi des soft skills » et coordinateur du groupe de travail.
La capacité à créer des interactions
Le résultat de cette remise en question a surpris tous les participants. « La norme à laquelle nous sommes arrivés, aucun de nous ne s'y attendait parce que les référentiels classiques, ce sont les soft skills de la communication, les soft skills de la collaboration, etc. Là, on a pris le sujet différemment en se demandant si les soft skills n'étaient pas la capacité à créer des interactions, avec nous-mêmes (auto-évaluation, auto-régulation, auto-organisation), avec la connaissance (traitement de l'information, synthèse et conceptualisation), aux autres (sensibilité sociale, adaptation, coopération), à la complexité (flexibilité mentale, projection, pensée globale), et à l'action (comprendre le raisonnement logique, la planification et la prise de décision ».
Le groupe a souhaité que cette norme soit expérimentale. « C'est une démarche d'humilité, explique Jérémy Lamri. Nous avons essayé de trouver un consensus et nous espérons que ce sera la bonne voie, mais on se laisse la possibilité de tout changer dans trois ans. Le but, c'est que dans ce délai, la norme vive, que les acteurs du recrutement, de la formation et de l'éducation se l'approprient puis nous fassent leurs retours avec des propositions de modification le cas échéant. »
Des ingrédients de la compétence
Pour le pilote du groupe de travail, l'apport les plus important de ce chantier est le constat partagé que les soft skills ne sont pas des compétences. « Ce sont des ingrédients de la compétence. Ainsi, dans la communication, il y a une partie soft : savoir s'adapter à son interlocuteur, mais on y trouve aussi les techniques de communication qui s'apprennent et qui ne sont pas soft. C'est pour cela que l'on s'est dit qu'il fallait arrêter de séparer les soft et les hard skills pour considérer que tout ce qui vise à s'adapter est une composante des compétences et que dans toute compétence, il y a des hard et des soft skills. Le terme habileté nous a donc semblé plus opportun. Nous aurions pu choisir le mot ‘capacité' mais nous avons préféré ‘habileté' parce que ce terme évoque quelque chose qui se développe alors que ‘capacité' renvoie à ce qui est inné. Et nous avons retenu l'adjectif ‘sociocognitives' car ‘habiletés sociocognitives' est plus large que ‘compétences émotionnelles'. La créativité n'est pas émotionnelle par exemple. »
Tout au long de ses travaux, le groupe avait trois objectifs : parvenir à une définition consensuelle des soft skills, élaborer une liste d'habiletés la plus exhaustive et en même temps la plus ramassée possible (le groupe en a retenu 25, qui sont « autant d'ingrédients pouvant composer n'importe quelle compétence »), et donner des recommandations sur la base de ce langage commun pour évaluer et développer ces habiletés. « L'idée est de favoriser des bonnes pratiques en la matière qui pourraient aboutir à deux prochaines normes : ‘comment évaluer ces habiletés' et ‘comment les développer' », explique Jérémy Lamri. Et pourquoi ne pas imaginer que, dans une dizaine d'années, plutôt que d'être certifié Qualiopi, on sera certifié Afnor en développement des soft skills par exemple, « ce n'est pas impossible… », dit-il.