Mobilité des apprentis : levée d'obstacles
Une loi du 27 décembre 2023 vise à faciliter la mobilité internationale des alternants en modifiant le cadre juridique applicable aux mobilités
Par Romain Pigeaud - Le 04 janvier 2024.
Il était temps !!! juste avant la fin de l'année le texte législatif tant attendu relatif à la mobilité des apprentis a été publié au Journal officiel le 28 décembre 2023. Le lendemain du décès de Jacques Delors, notamment ancien président de la Commission européenne, et ancien secrétaire général auprès du Premier Ministre, pour la formation professionnelle et la promotion sociale.
Certains y verront un hasard du calendrier législatif, d'autres une concrétisation d'une croyance de Jacques Delors, celle de « repenser l'Europe au regard de ce qui a été réalisé, de ce qui a fonctionné ou non » (https://institutdelors.eu/publications/message-de-jacques-delors-a-la-soiree-des-25-ans/), et aussi le symbole suivant : malgré le décès d'un rénovateur de l'Europe, celle-ci continuera à se construire, y compris par des textes nationaux.
D'autres commentaires et observations sont également possibles : la loi a été votée sans recours à l'article 49.3 de la Constitution, elle a été promulguée au fort de Brégançon.
La loi n° 2023-1267 du 27 décembre 2023 visant à faciliter la mobilité internationale des alternants, pour un « Erasmus de l'apprentissage » a donc été publiée. Cette loi, au contenu très technique permet de lever certaines difficultés pour favoriser la mobilité des alternants. Le Code du travail est modifié pour faciliter la mobilité des alternants, les apprentis comme les contrats de professionnalisation. Les dispositions sont nombreuses et multiples : droit d'option entre la mise en veille du contrat et la mise à disposition de l'alternant, possibilité pour les CFA de conclure une convention de partenariat avec l'organisme de formation d'accueil à l'étranger, prise en charge des frais correspondant aux cotisations sociales… c'est l'ensemble du cadre juridique applicable aux mobilités, consolidé par la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, qui est réécrit.
La mobilité sortante facilitée
Pour information, l'expression « mobilité sortante » désigne un alternant Français réalisant une mobilité en dehors du territoire national.
Condition relative à la durée du contrat en France
La loi du 27 décembre 2023 supprime les dispositions du Code du travail selon lesquelles la durée d'exécution du contrat en France devait être au minimum de six mois pour permettre la mobilité.
Dorénavant, le contrat d'apprentissage ou de professionnalisation peut être exécuté en partie à l'étranger pour une durée qui ne peut excéder un an, ni la moitié de la durée totale du contrat.
Article L6222-42 du Code du travail modifié
Article L6325-25 du Code du travail modifié
Article 1 de la Loi n° 2023-1267 du 27 décembre 2023
Condition relative à la conclusion d'une convention de mobilité : une possibilité de dérogation à l'obligation de conclusion d'une convention
La loi du 27 décembre 2023 supprime l'obligation de conclure une convention de mobilité avec les structures d'accueil à l'étranger. Ces structures d'accueil peuvent être soit un employeur, soit un organisme de formation. Il reste possible de conclure des conventions de mobilité, parfois encore appelées « convention individuelle de mobilité » (voir encore également : convention quadripartite puisque conclue entre l'apprenti, l'employeur en France, le centre de formation en France et le centre de formation à l'étranger) mais ces dernières ne sont donc plus obligatoires.
Lorsque la mobilité est effectuée en entreprise à l'étranger : les conditions de mise en œuvre de la mobilité de l'apprenti à l'étranger, peuvent alors être prévues par une convention conclue entre les parties au contrat d'apprentissage ou de professionnalisation et le centre de formation d'apprentis en France (ou l'organisme de formation français pour le contrat de professionnalisation). Pour autant, la loi impose un « garde-fou », un contenu minimal de protection apporté à l'alternant en mobilité.
Pour que la structure d'accueil à l'étranger ne soit pas partie à la convention de mobilité, il doit être établi que l'alternant bénéficie, conformément aux engagements pris par l'employeur de l'État d'accueil, de garanties, notamment en termes d'organisation de la mobilité et de conditions d'accueil, équivalentes à celles dont il aurait bénéficié en application de la convention conclue avec l'entreprise à l'étranger. La liste de ces garanties est fixée par voie réglementaire.
La loi du 27 décembre 2023 ouvre également la possibilité pour les organismes de formation français de conclure une convention de partenariat avec des organismes de formation établis à l'étranger. Ces conventions de partenariat peuvent permettre de conclure des conventions de mobilité sans la signature de l'organisme de formation établis à l'étranger.
Lorsque la mobilité se déroule dans un organisme de formation d'accueil établi dans ou hors de l'Union européenne avec lequel le centre de formation d'apprentis français ou l'unité de formation par apprentissage ou un établissement conventionné avec le CFA (prévoyant que ces derniers assurent tout ou partie des enseignements normalement dispensés par le CFA ), a conclu une convention de partenariat, la convention organisant la mobilité peut alors uniquement être conclue entre le bénéficiaire du contrat d'apprentissage ou de professionnalisation, l'employeur en France et l'organisme de formation français.
Autrement dit : si une convention de partenariat est conclue, il n'est pas obligatoire de conclure une convention individuelle de mobilité avec un organisme de formation d'accueil.
De nombreux acteurs de la mobilité des alternants avaient fait le constat de la difficulté de faire signer les conventions de mobilité à l'employeur à l'étranger, et, le cas échéant, le centre de formation à l'étranger. Les conventions de mobilité étant d'un contenu juridique complexe et long à appréhender, elles suscitaient beaucoup d'interrogations de la part des employeurs et des centres de formation à l'étranger. La commission des affaires sociales de l'Assemblée Nationale utilise dans son rapport l'expression suivante : « une démarche administrative rigide ».
La possibilité ouverte pour les CFA de conclure des accords de partenariat avec des organismes de formation à l'étranger constitue donc une réelle simplification administrative, et devrait à terme permettre de décharger les référents mobilité.
Article L6222-42 du Code du travail modifié
Article L6325-25 du Code du travail modifié
Article 1 et article 2 de la Loi n° 2023-1267 du 27 décembre 2023
Uniformisation du financement de la protection sociale par les opérateurs de compétences
Le rapport de l'Igas de décembre 2022 relatif au développement de la mobilité européenne des apprentis avait fait le constat suivant : plusieurs Opco avaient fait le choix de ne pas offrir de prise en charge facultative et de se contenter de la prise en charge obligatoire.
La loi du 27 décembre 2023 permet de rendre obligatoire la prise en charge par les Opco des frais correspondant aux cotisations sociales liées à la mobilité internationale des alternants. Avant la loi, les Opco prenaient obligatoirement en charge le financement des référents mobilité employés par les CFA et pouvaient assurer également, à titre facultatif, le financement de frais liés à la mobilité dont ceux correspondant aux cotisations sociales.
D'un point de vue purement technique, la loi du 27 décembre 2023 supprime la mention de frais correspondant aux cotisations sociales du 3° du II de l'article L6332-14 qui prévoit des prises en charge facultatives de frais annexes. La prise en charge de ces frais devient obligatoire.
A ce titre, le rapport fait au nom de la Commission des affaires sociales sur la proposition de loi souligne que le soutien financier des opérateurs de compétences est très hétérogène et souvent insuffisant, que des travaux étaient en cours pour harmoniser le périmètre et le niveau des aides à la mobilité proposés par les Opco. Ces mesures, d'ordre réglementaire, seront complémentaires à la loi et contribueront à rendre les aides à la mobilité plus lisibles pour les alternants et les centres de formation.
Article L6332-14 du Code du travail modifié
Article 4 de la Loi n° 2023-1267 du 27 décembre 2023
Rapport fait au nom de la Commission des affaires sociales sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à faciliter la mobilité internationale des alternants, pour un « Erasmus de l'apprentissage »
Possibilité de mise à disposition accentuée
Lors de la mobilité à l'étranger, les employeurs ont l'alternative suivante : soit le contrat de l'alternant est « mis en veille », l'entreprise ou le centre de formation d'accueil étant alors seul responsable des conditions d'exécution du travail de l'alternant, soit l'alternant peut être mis à disposition auprès de la structure d'accueil à l'étranger, son contrat de travail continuant alors d'être exécuté.
En pratique, avec une mise à disposition, l'apprenti ou le jeune en contrat de professionnalisation, continue à recevoir une rémunération et une protection sociale puisque le contrat de travail n'est ni rompu ni suspendu : il continue d'être exécuté. Il s'agit d'une mise à disposition classique, encore parfois nommé « Prêt de main-d'œuvre ».
Avant la loi du 27 décembre 2023, la possibilité de mise à disposition concernait uniquement les mobilités n'excédant pas 4 semaines. Au-delà d'une mobilité de 4 semaines, seule la mise en veille était possible. Cette limite est donc supprimée par la loi du 27 décembre 2023. La mise à disposition pourra donc être effectuée pour l'ensemble de la mobilité, quel que soit sa durée.
Par ailleurs, la possibilité d'une mise en veille n'est pas supprimée et pourra donc continuer à être utilisée, quel que soit la durée de la mobilité. Il appartient donc aux alternants, aux employeurs et aux organismes de formation de retenir le régime le plus approprié à chaque situation pour réaliser un projet de mobilité internationale.
Lors d'une récente formation sur la mobilité des alternants, de nombreux CFA nous ont fait part de la volonté des employeurs de proposer des mises à disposition. Cette dernière permet de maintenir une relation forte entre l'employeur et l'alternant puisqu'il continue d'appartenir au personnel de l'entreprise prêteuse et conserve le bénéfice de l'ensemble des dispositions conventionnelles dont il aurait bénéficié s'il avait exécuté son travail dans l'entreprise prêteuse.
Pour information, une fiche peut utilement être consultée sur la mise à disposition de salarié sur le portail « service public.fr ».
Article L6222-42 du Code du travail modifié
Article L6325-25 du Code du travail modifié
Article 1 de la Loi n° 2023-1267 du 27 décembre 2023
La mobilité entrante également facilitée
Les apprentis originaires d'un État membre de l'Union européenne effectuant une période de mobilité en France bénéficient des dispositions du Code du travail relatives à l'apprentissage.
En raison du caractère temporaire de cette mobilité, certaines dispositions du Code du travail ne leur sont pas applicables. Il s'agit par exemple de celles relatives à la durée de la formation en apprentissage.
La loi du 27 décembre 2023 complète le Code du travail en ajoutant aux dispositions non applicables aux apprentis en mobilité « entrante » la limite d'âge pour débuter un apprentissage. Autrement dit, les apprentis originaires d'un État membre de l'Union européenne effectuant une mobilité en France ne peuvent pas se voir opposer la limite d'âge de 29 ans pour pouvoir effectuer cette mobilité.
Cette nouveauté permet de prendre en considération la diversité des législations des États de l'Union européenne, et notamment de l'Allemagne où l'apprentissage est permis après 29 ans.
Quelques données chiffrées sur la mobilité entrante sont disponibles sur le portail de Campus-France. Si ces données concernent principalement les étudiants du supérieur, elles incluent néanmoins les apprentis : https://chiffrescles2023.campusfrance.org/pays-dorigine
Art. L6222-43 du Code du travail modifié
Article 3 de la Loi n° 2023-1267 du 27 décembre 2023
Des textes règlementaires encore attendus
Pour pouvoir être pleinement applicable, la loi du 27 décembre 2023 nécessite la publication de textes règlementaires.
En particulier, pour que la convention de mobilité ne soit pas conclue avec les structures d'accueil à l'étranger, il doit être établi que l'alternant bénéficie de garanties dont la liste est fixée par voie réglementaire. A ce jour, ce texte réglementaire n'a pas encore été publié.
La loi du 27 décembre 2023 modifie le Code du travail pour permettre de fixer par décret en Conseil d'État l'ensemble des modalités de mise en oeuvre des dispositions relatives à la mobilité internationale des apprentis et des contrats de professionnalisation, dont le contenu des relations conventionnelles. Ainsi, des prochains textes règlementaires pourraient être publiés.
Par ailleurs, le rapport fait au nom de la Commission des affaires sociales sur la proposition de loi souligne également que les financements accordés par les opérateurs de compétences gagneraient à être harmonisés, tant dans les procédures que dans leur périmètre et leur niveau de prise en charge. Des mesures, d'ordre réglementaire, sont à l'étude par le Gouvernement. Elles contribueraient à rendre les aides à la mobilité plus lisibles pour les alternants et les centres de formation.
Article L6222-44 du Code du travail modifié
Article L6325-25 du Code du travail modifié
Article L6325-25-1 du Code du travail nouveau
Article 1 de la Loi n° 2023-1267 du 27 décembre 2023
Rapport fait au nom de la Commission des affaires sociales sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à faciliter la mobilité internationale des alternants, pour un « Erasmus de l'apprentissage »
Ordonnance n° 2022-1607 du 22 décembre 2022 relative à l'apprentissage transfrontalier ratifiée
Pour information, une ordonnance n'acquiert pleinement valeur législative qu'après sa ratification par le Parlement. L'ordonnance n° 2022-1607 du 22 décembre 2022 relative à l'apprentissage transfrontalier devait donc être ratifiée pour acquérir une valeur législative. Elle est ratifiée par la loi du 27 décembre 2023.
Pour en savoir plus sur les ordonnances : https://www.vie-publique.fr
Article 5 de la Loi n° 2023-1267 du 27 décembre 2023
Deux prochains rapports attendus
Dans un délai de 6 mois à compter de la promulgation de la loi, en pratique avant juillet 2024, le Gouvernement remettra au Parlement :
- un rapport sur les bourses et les aides financières destinées aux apprentis souhaitant effectuer une mobilité à l'étranger. Ce rapport examinera également les perspectives en matière d'harmonisation des dispositifs de soutien financier et d'augmentation des aides financières pour la mobilité des apprentis à l'étranger ;
- un rapport sur la bonne désignation d'un référent mobilité au sein de chaque centre de formation d'apprentis.
Article 6 et article 7 de la Loi n° 2023-1267 du 27 décembre 2023
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Loi n° 2023-1267 du 27 décembre 2023 visant à faciliter la mobilité internationale des alternants, pour un « Erasmus de l'apprentissage », publiée au Journal Officiel du 28 décembre 2023
Pour les abonnés aux Fiches pratiques du droit de la formation (mises à jour à venir) :
Fiche 30-16 : Mobilité internationale en contrat de professionnalisation
Fiche 31-23 : Accueil en France d'apprentis européens et étrangers
Fiche 31-24 : Mobilité dans ou hors Union européenne
Fiche 31-25 : Apprentissage transfrontalier : principes
Fiche 31-26 : Accord France-Allemagne sur la mobilité transfrontalière