Communication de consignes de sécurité au travail.
Apprenti victime d'un accident de travail : le CFA n'est pas un tiers à l'employeur
Une décision de la Cour de cassation du 6 juin 2024 apporte des précisions sur les règles de réparation des préjudices subis par un apprenti victime d'un accident de travail.
Par Valérie Michelet - Le 02 septembre 2024.
Le principe de la réparation des accidents du travail repose sur des règles qui ont plus d'un siècle (loi de 1898) et qui traduisent un "compromis" : le salarié est indemnisé dès lors que l'accident a lieu sur le temps et le lieu de travail. Cette présomption lui garantit une indemnisation automatique mais non intégrale car la victime ne peut pas demander devant un juge la réparation sur le fondement du droit commun de la responsabilité (article L451-1 du Code d la sécurité sociale). La réparation est forfaitaire (rente pouvant être majorée).
Une seule exception : la faute inexcusable de l'employeur.
Si cette faute est prouvée, la victime de l'accident de travail peut, sous certaines conditions, demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle (article L 452-3 du Code de la Sécurité sociale) ou de tout autre préjudice (Cons. Cons. 18 juin 2010, QPC n°2010-8). Pour compléter cette disposition, il est prévu que si la lésion dont est atteint le salarié victime de l'accident du travail est imputable à une personne autre que l'employeur ou ses préposés, c'est à dire un tiers, le salarié ou ses ayants droit conservent contre l'auteur de l'accident le droit de demander la réparation du préjudice causé conformément aux règles de droit commun, dans la mesure où ce préjudice n'est pas réparé par application de la législation sur les accidents du travail (article L454-1 du Code du travail).
Ces situations alimentent un contentieux abondant. La décision du 6 juin 2024 rendue par la Cour de cassation en est une illustration mais elle a retenu notre attention parce qu'elle concernait un apprenti.
Rappelons les faits : un apprenti, durant sa formation au CFPPA, a fait une chute de grande hauteur alors qu'il était placé sous l'autorité de ses formateurs, salariés du l'EPLEFPA, qui étaient chargés de lui apprendre les techniques pour grimper aux arbres dans le cadre de sa formation d'élagueur.
La question posée aux juges de la Haute cour était la suivante : le CFPPA était-il un tiers à l'employeur ? En cas de réponse négative, l'apprenti avait, contre l'auteur de l'accident, le droit de demander la réparation du préjudice causé conformément aux règles de droit commun ; en cas de réponse positive, l'apprenti voyait son dédommagement limités aux seules réparations forfaitaires assurées par les prestations sociales prévues par la législation sur les accidents de travail.
Dans l'absolu, la qualification de « tiers » semble aisée. Est un tiers à l'employeur, un client, un fournisseur, un sous-traitant … toutefois cette qualification peut s'avérer complexe dans certaines situations.
C'est le cas dans le cadre de l'apprentissage : le CFA, chargé des enseignements théoriques, est-il un « tiers » à l'employeur, chargé quant à lui de la formation pratique ?
Non, répondent les juges de la Haute cour.
En effet, les juges de la Cour d'appel avait constaté que la formation d'élagueur que suivait l'apprenti « s'effectuait tant en entreprise, auprès du maître d'apprentissage, qu'au CFPPA ». Il s'en déduit donc qu'existe un « travail en commun » entre les salariés du CFA et l'employeur et ses propres salariés, notamment le maître d'apprentissage.
Une telle analyse est conforme à la définition même de l'apprentissage « forme d'éducation alternée associant une formation dans une ou plusieurs entreprises, fondée sur l'exercice d'une ou plusieurs activités professionnelles en relation directe avec la qualification objet du contrat entre l'apprenti et l'employeur et des enseignements dispensés pendant le temps de travail dans un centre de formation d'apprentis, dont tout ou partie peut être effectué à distance (Article L6211-2 du Code du travail). Quant à l'objet commun ? L'apprentissage "a pour objet de donner à des travailleurs, ayant satisfait à l'obligation scolaire, une formation générale, théorique et pratique, en vue de l'obtention d'une qualification professionnelle sanctionnée par un diplôme ou un titre à finalité professionnelle enregistré au répertoire national des certifications professionnelles" (Article L6211-1 du Code du travail).
Ce critère du « travail en commun » est appliqué par les juges pour qualifier la notion de tiers dans l'hypothèse où les salariés de plusieurs entreprises travaillent sous une direction unique pour un objet commun. Lesdites entreprises ne sont alors pas considérées comme des tiers vis-à-vis du salarié victime d'un accident du travail. (Cass. civ. 2e, 4 avril 2018, n° 17-14.907 ; Cass. civ. 2e, 27 mars 2014, n° 12-29.569 ; Cass. crim., 11 octobre 2011, n° 11-80.122 ; Cass. crim, 14 mai 1996, n° 94-84.132).
L'enjeu de cette qualification est de taille. « Lorsqu'aucun lien de subordination juridique n'unit pas l'employeur à la victime d'un accident du travail, l'immunité prévue par la législation du travail dont jouit l'employeur de la victime (ou son préposé) ne joue pas : la victime peut alors demander réparation, sur la base du droit commun de la responsabilité civile. La solution n'est pas retenue, dans l'hypothèse d'un "travail en commun"" (In, Réparation du préjudice moral des victimes d'un accident du travail : travail en commun et qualité de tiers responsable, Christophe Willmann, Lexbase, 10 novembre 2011).