Fouzi Fethi, responsable du pôle droit et politiques de formation, conférences et formations, à Centre Inffo.
De la gratuité à cent euros : un CPF plus économe ?
Prévue dans la loi de finances de 2023 et en gestation depuis plusieurs mois, la participation du salarié en cas de mobilisation de ses droits au CPF s'est concrétisée sous la forme d'un ticket modérateur de 100 euros. Mais en quoi cette mesure rendrait-elle le CPF plus économe ? Fouzi Fethi, Responsable du pôle droit et politiques de formation à Centre Inffo, livre son analyse.
Par Fouzi Fethi - Le 02 juillet 2024.
Depuis le 2 mai 2024, avec l'instauration du ticket modérateur, l'argument de la gratuité, tant vanté par certains organismes de formation, ne s'applique plus aux salariés qui utilisent le compte personnel de formation (CPF).
Pour eux, sauf exception, ils devront systématiquement débourser au minimum 100 euros, même si leur compte affiche une valeur suffisante. Cette somme forfaitaire sera due pour toute formation, quel que soit son contenu, sa durée ou sa valeur d'usage.
L'économie escomptée ? 200 millions d'euros dès cette année, selon Bercy. L'estimation repose notamment sur l'idée que faire payer un prix, quel qu'il soit, créerait une barrière psychologique susceptible de dissuader les plus compulsifs d'utiliser leur CPF. L'économie repose donc sur le comportement supposé des salariés. Cependant, elle dépendra également des réactions des entreprises et des organismes de formation, qui pourraient ne pas nécessairement conduire à des réductions de coûts.
L'entreprise, un accélérateur de la consommation ?
L'argent du CPF appartient à l'État et est géré par la Caisse des Dépôts. Avec un peu plus de 2 milliards d'euros, le budget prévisionnel pour l'année 2024 est en baisse.
Ce budget est à dissocier des valeurs affichées sur les comptes, qui, elles, augmentent d'année en année. En effet, bien que libellés en euros, ces comptes ne sont pas provisionnés. Ils sont alimentés à partir de la déclaration sociale nominative (DSN) des entreprises.
Ainsi, l'individu détient les droits inscrits sur son compte sans être propriétaire des fonds qui les financent. C'est pourquoi ces droits ne sont pas cessibles et sont perdus une fois à la retraite. Mais dès lors que le salarié les utilise pour se former, ces droits doivent être financés. La Caisse des Dépôts puise alors l'argent sur les fonds qu'elle gère.
La consommation du budget dépend donc de la mobilisation des droits, laquelle est entièrement aux mains du salarié. L'entreprise, pour sa part, doit obtenir l'accord du salarié pour toute utilisation du CPF. Cependant, la fin de la gratuité pour le salarié pourrait sensiblement changer la donne. Selon la loi, un abondement de l'employeur permet au salarié de ne pas avoir à payer les 100 euros.
Certaines entreprises pourraient y voir un moyen de persuasion pour orienter les choix de formation de leurs salariés en les alignant sur leurs objectifs, mais aussi d'optimiser leur budget formation. Or, une telle politique de co-construction irait à l'évidence à l'encontre des économies justifiant l'instauration du ticket modérateur. Si les entreprises s'engagent dans cette voie, elles accéléreront inévitablement l'utilisation du CPF.
Sans préjuger de l'engouement que susciterait le ticket modérateur dans les entreprises, l'intégration d'un droit individuel dans des démarches collectives, notamment à travers des accords collectifs d'abondement, augmentera le nombre de dossiers à financer, ce qui pourrait contrevenir aux économies envisagées par le ministère des Finances.
Vers davantage de « shrinkflation » ?
De même, il est difficile de considérer le ticket modérateur comme une mesure permettant de faire des économies sur la baisse des coûts des formations. Au contraire, il pourrait produire l'effet inverse.
Le décret a opté pour une participation forfaitaire de 100 euros pour toute formation, indépendamment de son prix, plutôt que d'opter pour une participation proportionnelle, l'autre option offerte par la loi. Résultat : si un salarié dispose de droits suffisants, il n'a pas intérêt à multiplier les formations bon marché, car à long terme, cela pourrait finalement lui coûter plus cher.
Prenons l'exemple d'un salarié dont le compte affiche 5 000 euros, soit le plafond. Plutôt que de dépenser 1 000 euros au total (10 fois 100 euros) pour acheter 10 formations à 500 euros chacune, il sera plus intéressant pour lui de dépenser seulement 100 euros pour s'offrir une formation à 5 100 euros.
Face à cette évolution, le marché pourrait réagir en augmentant ses prix, ce qui accentuerait le phénomène de « shrinkflation » déjà observé par la Caisse des dépôts. Ce phénomène consiste à proposer des durées de formation plus courtes pour des prix identiques, voire plus élevés. La dernière étude sur le sujet révèle que le prix horaire moyen des formations est passé de 16,80 euros à 27,46 euros, soit une hausse impressionnante de 63,5 % en l'espace de deux ans (2020-2022). Il n'est donc pas exclu que cette tendance s'accélère.
Pour un CPF "économe"
Par ailleurs, réaliser des économies ne signifie pas être économe. La nuance a son importance. Réaliser des économies signifie simplement réduire les dépenses, tandis qu'être économe signifie, en plus, une efficience dans la réduction des dépenses.
Si l'objectif est d'être économe, un ticket modérateur ne sera pas suffisant sans un véritable changement de paradigme.
Indépendamment des comportements des individus, des entreprises ou des prestataires de formation, être économe nécessite de passer d'une approche consumériste à une approche assurantielle. À cet égard, il est essentiel de rappeler une évidence juridique : les titulaires du CPF sont des travailleurs, et non des consommateurs.
Le besoin d'un consommateur est comblé par un achat ou une dépense visant à acquérir un service ou un bien. En revanche, le besoin d'un travailleur est de se prémunir contre les aléas de la vie, ce qui est satisfait par des assurances sociales telles que la maladie, l'invalidité, le décès, les accidents du travail, le chômage, les charges familiales et la vieillesse.
La suite du CPF, en tant qu'innovation sociale, devrait s'inscrire dans cette lignée en offrant une protection supplémentaire aux travailleurs, notamment aux moins qualifiés. Les droits acquis au fil du temps devraient servir à prévenir l'obsolescence de leurs qualifications. Ce capital, exprimé en euros, ne devrait plus être perçu comme une mesure en faveur du pouvoir d'achat du consommateur, mais les fondations d'une "assurance employabilité" pour le travailleur. La protection devrait résider non pas dans la formation choisie, mais dans la qualification qu'elle apporte. C'est le préalable pour bâtir un CPF "économe" et donc plus efficient.