Fouzi Fethi, responsable du pôle droit et politiques de formation, conférences et formations, à Centre Inffo.
Quels prestataires se cachent derrière « Mon compte formation » ?
Après des mois de gestation, le décret encadrant la sous-traitance dans le cadre du CPF a été publié au journal officiel le 30 décembre 2023 [1]. Accompagné d'un arrêté [2], ce texte vise à limiter le recours à la sous-traitance et à garantir la qualité des sous-traitants des prestataires référencés dans la plateforme "Mon compte formation" (MCF). Responsable du Pôle droit et politiques de formation à Centre Inffo, Fouzi Fethi nous livre son décryptage.
Par Fouzi Fethi - Le 18 janvier 2024.
Confier la réalisation d'une partie ou de l'intégralité d'une action de formation tout en demeurant responsable de celle-ci n'est pas en soi répréhensible. Toutefois, au sein d'un marché de la formation B to C (Business to Consumer, d'entreprise à consommateur), la sous-traitance suscite une inquiétude particulière : la transparence à l'égard du bénéficiaire. Une question légitime se profile alors : qui intervient vraiment derrière la plateforme MCF ?
Fausse sous-traitance
Cette préoccupation va grandir au fur et à mesure que les dérives ou les fausses sous-traitances, prennent de l'ampleur. La plus connue d'entre elles porte le nom de "portage NDA (numéro de déclaration d'activité) + Qualiopi ". Le subterfuge est simple, mais diaboliquement efficace : permettre à des personnes non déclarées et/ou dépourvues de la certification Qualiopi d'accéder à des financements CPF. Comment ? En leur proposant une sorte de location de "NDA + certification Qualiopi". L'objectif sournois ? Leur épargner les méandres administratifs d'un référencement sur la plateforme MCF. Le modèle économique ici, repose sur une sorte de location de la certification Qualiopi, reléguant au second plan l'activité de dispensateur de formation du prestataire référencé...
Dans ces configurations parfois intriquées et complexes, ces entités n'assument aucune responsabilité dans la réalisation des formations, mais agissent comme des simples intermédiaires ou "porte-avions" pour permettre à des prestataires dont le sérieux n'a pas été vérifié, de contourner les critères de référencement…Ces arrangements très sophistiqués restent difficilement détectables.
Face à ces difficultés, les autorités auraient pu succomber à la tentation d'interdire la sous-traitance. Selon cette perspective, tout vendeur de formation référencé sur la plateforme MCF devrait assumer entièrement la réalisation de ses formations. Une solution radicale, certes, mais une telle approche, séduisante dans sa simplicité, se heurte aux subtilités du droit européen. De plus, elle aurait placé de nombreux organismes de formation dans une situation délicate, du moins ceux dont le modèle économique dépend du recours de formateurs externes.
Plafonnement du chiffre d'affaires
Finalement, le décret interdit la sous-traitance uniquement dans deux situations spécifiques déjà définies dans les conditions générales d'utilisation (CGU) de la plateforme MCF. Ces situations incluent la sous-traitance à un prestataire ayant été temporairement déréférencé et la sous-traitance à un prestataire ayant recours lui-même à la sous-traitance (sous-traitance en cascade). En dehors de ces deux cas, le recours à la sous-traitance dans le cadre du CPF demeure autorisé mais encadré.
Cet encadrement se manifeste d'abord par une limitation en matière de chiffre d'affaires. Un prestataire répertorié sur la plateforme MCF n'est plus autorisé à sous-traiter l'exécution d'actions éligibles au CPF au-delà de 80% du chiffre d'affaires facturé par le biais de cette plateforme. Cette restriction s'applique à tous les contrats de sous-traitance conclus à partir du 1er avril 2024. La conformité à cette limite est appréciée sur l'année civile, à l'exception de l'année 2024 où elle est basée sur les facturations du 1er avril 2024 au 31 décembre 2024.
En d'autres termes, selon cette règle, le prestataire référencé doit idéalement assurer lui-même, sans avoir recours à la sous-traitance, des actions de formation correspondant à au moins 20% de son chiffre d'affaires facturé sur la plateforme MCF. Afin de garantir le respect de ce seuil minimal, est-il impératif que le prestataire engage exclusivement des formateurs en tant que salariés, ou bien d'autres modalités contractuelles, telles que le portage salarial ou la mise à disposition, peuvent-elles également être envisagées ? Bien que le décret manque de précision, l'esprit est, selon nous, d'encourager le renforcement des compétences internes des prestataires référencés sur la plateforme MCF.
Cette intervention dans la gestion des ressources humaines pourrait être perçue comme une entrave à la liberté de sous-traiter, mais la spécificité du marché du CPF, financé par des fonds publics et exempt de commissions pour les vendeurs de formation, justifie amplement cette mesure.
Effet miroir des obligations
Au-delà de la limitation du recours à la sous-traitance, le décret éclaire également le principe de l'« effet miroir » des obligations du prestataire de formation envers son sous-traitant. En effet, la loi du 19 décembre 2022 [ 1 ]Loi n° 2022-1587 du 19 décembre 2022 (JO du 20 décembre 2022). prévoit que le sous-traitant doit fournir les mêmes garanties qui ont permis au donneur d'ordre de s'inscrire sur la plateforme MCF.
Il incombe donc au donneur d'ordre de démontrer à la Caisse des dépôts que son sous-traitant respecte toutes les obligations légales, y compris les CGU de la plateforme MCF, la détention de la certification Qualiopi, et éventuellement l'autorisation requise pour la préparation de la certification professionnelle.
Concernant les deux dernières obligations, le décret introduit une exemption en réponse à l'engagement de Carole Grandjean, ex-ministre déléguée à l'enseignement et à la formation professionnelle, qui avait souligné lors des débats parlementaires : « Je tiens à rassurer les formateurs individuels : une attention particulière leur sera accordée, car on ne peut exiger d'eux autant que des autres acteurs ». Cet engagement s'est concrétisé dans le décret par la dispense de l'obligation de détenir la certification Qualiopi ou d'être habilité à préparer une certification professionnelle pour toutes les personnes physiques agissant en tant que sous-traitant relevant du régime micro-social, avec un chiffre d'affaires inférieur ou égal à 77 700 €.
Quant aux autres sous-traitants, bien qu'ils ne puissent échapper à Qualiopi, ils peuvent tout de même être exemptés de l'habilitation par le certificateur pour préparer ou évaluer la certification ou le bloc de compétences, à condition que leur intervention en sous-traitance se limite à une partie de l'action de formation éligible au CPF.
En bref, le prestataire référencé sur la plateforme MCF est entièrement responsable des actions de son sous-traitant envers la Caisse des dépôts. Il doit garantir le respect des obligations par le sous-traitant. En cas de non-conformité, la Caisse des dépôts peut déréférencer le prestataire après une mise en demeure. Le contrat de sous-traitance, soumis à des clauses obligatoires spécifiées par le nouveau décret, devient la pièce maitresse pour évaluer les dispositions applicables au sous-traitant.
Préservation de la sous-traitance
L'objectif principal était de préserver la sous-traitance, tout en conciliant cette pratique avec la protection des titulaires du CPF. La Caisse des dépôts dispose désormais de moyens juridiques pour contrer les abus et les fraudes en s'assurant que le vendeur de formation en vitrine agisse également en tant que dispensateur de formation, et que ses sous-traitants offrent des garanties identiques. Cependant, pour mettre en place ces mesures, il sera probablement nécessaire que les autorités fournissent des clarifications afin d'aligner les exigences juridiques avec leur mise en œuvre opérationnelle. Ce décret, une fois « fonctionnel », pourrait impacter le modèle économique des vendeurs de formation sur la plateforme MCF, y compris leurs sous-traitants. Ces derniers, s'ils respectent les conditions de référencement sur la plateforme, doivent évaluer s'il est plus avantageux de rester sous-traitant ou de s'inscrire directement pour proposer des formations éligibles au CPF. Ce qui les placerait potentiellement comme des concurrents directs à leurs donneurs d'ordres….
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[1] Décret n° 2023-1350 du 28 décembre 2023 (JO du 30 décembre 2023).
[2] Arrêté du 3 janvier 2024 (JO du 12 janvier 2024).
Notes
1. | ↑ | Loi n° 2022-1587 du 19 décembre 2022 (JO du 20 décembre 2022). |