Fouzi Fethi, responsable du pôle droit et politiques de formation, conférences et formations, à Centre Inffo.

Fouzi Fethi, responsable du pôle droit et politiques de formation, conférences et formations, à Centre Inffo.

Reconversion professionnelle : à la recherche du dispositif idéal

La reconversion professionnelle des salariés est devenue un enjeu majeur, suscitant une réflexion sur la nécessité de simplifier les financements des formations associées. Fouzi Fethi, responsable du pôle droit et politiques de formation à Centre Inffo, décrypte les caractéristiques des dispositifs existants en prévision d'une réforme législative à venir.

Par - Le 28 mai 2024.

Les bouleversements engendrés par les transitions numérique et écologique, associés aux difficultés de recrutement dans certains secteurs, suscitent des interrogations sur l'efficacité des nombreux dispositifs actuels de reconversion : CPF, PTP, ProA, Transco…

Face à ces enjeux, une réflexion s'ouvre pour simplifier et concevoir un dispositif capable de concilier les besoins immédiats et évolutifs des entreprises avec les aspirations individuelles des salariés en reconversion.

Temps personnel, temps de travail

Cette équation est complexe à résoudre, car les intérêts des salariés sont souvent en opposition avec ceux de leurs employeurs. En effet, demander à son employeur un soutien financier pour un projet personnel, qui pourrait impliquer de quitter l'entreprise, semble compromettant.

Le réflexe naturel du salarié est d'utiliser son compte personnel de formation (CPF). Ce dispositif, libellé en euros, permet au salarié de choisir et d'acheter librement une formation via la plateforme « Mon Compte Formation » sans l'accord de son employeur. Cependant, cette liberté concerne uniquement le choix de la formation, et non le temps consacré à se former.

Le CPF ne finançant pas la rémunération, partir en formation pendant le temps de travail nécessite l'accord de l'employeur. La désintermédiation n'est donc pas totale. Et en mobilisant son temps personnel, le salarié privilégie souvent des formations courtes visant généralement des certifications linguistiques, informatiques ou l'obtention d'un permis de conduire. Ces compétences sont valorisables sur un CV, mais restent souvent insuffisantes pour changer de métier. Et le ticket modérateur de cent euros, mis en place récemment, ne devrait pas changer cette tendance.

Financer bien mais peu

Reste l'alternative au CPF : un CPF dit de transition professionnelle. Né sur les cendres du congé individuel de formation (CIF), il est connu sous le nom de projet de transition professionnelle (PTP).

Ce dispositif finance des formations d'envergure, rémunération comprise. Contrairement au CPF classique, ici le salarié dispose d'un droit à s'absenter de son poste pour se former. Cependant, pour être financé, le dossier doit être jugé pertinent par une commission, c'est-à-dire placé en haut de la pile au regard des priorités de financement (niveau de qualification, taille de l'entreprise, secteur recrutant…).

Avec un budget cinq fois inférieur à celui du CPF, et alors que le coût moyen d'un dossier PTP est vingt fois supérieur, il y a très peu d'élus : moins de 19 000 par an.  Autrement dit, le PTP finance bien mais finance peu.

Par ailleurs, malgré son coût, le PTP ne garantit pas la mobilité professionnelle vers une autre entreprise. Au contraire, à la fin de la formation et après une absence pouvant s'étendre, pour certains parcours certifiants, jusqu'à trois ans, le PTP assure au salarié de retrouver son poste ou un poste similaire au sein de son entreprise d'origine.

Responsabiliser les entreprises

Pour y remédier, les partenaires sociaux, avec le soutien de l'État, ont lancé en 2020, dans le contexte de la crise sanitaire, un dispositif expérimental appelé "TransCo". Son objectif est de mettre en relation les entreprises envisageant des réductions d'effectifs avec celles rencontrant des difficultés de recrutement.

Ce dispositif, qualifié d'« adéquationniste », vise à responsabiliser les entreprises de départ et les entreprises d'arrivée en permettant aux salariés dont l'emploi est « fragilisé » de changer de métier sans avoir à passer par la case chômage.

Malgré les ressources allouées, ce dispositif n'a pas vraiment convaincu les entreprises. En effet, bien que l'État finance totalement ou partiellement la rémunération et les frais de formation selon la taille des entreprises, TransCo n'a jamais vraiment pris son essor.

Les raisons sont multiples, mais l'une d'elles est particulièrement évidente : les entreprises préfèrent les dispositifs visant à investir dans les compétences qu'elles souhaitent conserver plutôt que dans celles qu'elles veulent voir partir.

Un intérêt pour les mobilités internes

Et c'est précisément ce à quoi devait répondre le dispositif « reconversion ou promotion par alternance », connu sous le nom de Pro-A. Il a en effet suscité un grand intérêt de la part des entreprises à son lancement, mais il a rapidement déçu. Noyé dans les fonds généraux de l'alternance avec l'apprentissage et le contrat de professionnalisation, il n'a pas été doté d'une enveloppe spécifique. Par ailleurs, son déploiement est fortement conditionné notamment à la signature et à l'extension d'un accord collectif de branche définissant les certifications éligibles. Bien qu'il ait connu une dynamique temporaire grâce au soutien du plan de relance, il ne s'est jamais imposé.

Pendant ce temps, la réactivation du FNE-Formation depuis la dernière crise sanitaire est venu compenser la baisse des budgets de formation des entreprises. Cette enveloppe de l'Etat vise aujourd'hui à renforcer la compétitivité des entreprises en formant leurs salariés pour améliorer leur employabilité et faire face aux grandes transitions structurelles. Cependant, les fonds disponibles diminuent chaque année et les critères de formation éligibles changent significativement, rendant le dispositif incertain.

Vers une simplification ?

TransCo, Pro-A, FNE-Formation : les entreprises peinent à naviguer parmi ces dispositifs, dont l'accès est souvent incertain. Pour le gouvernement, la simplification est devenue une priorité, et le contrat de professionnalisation a ses faveurs. Ce dernier pourrait être rénové pour devenir l'unique support des reconversions aux mains des entreprises, notamment après l'expérimentation menée dans le cadre de la « VAE inversée ».

Mais l'accord national interprofessionnel (ANI) du 23 avril 2024 retient une solution légèrement différente. Il propose d'introduire un nouveau dispositif appelé « période de reconversion », sans pour autant remplacer le contrat de professionnalisation. Soutenu par une seule organisation patronale et la quasi-totalité des syndicats de salariés, cet ANI prévoit de réaffecter les budgets du FNE-Formation, de Pro-A et de TransCo vers ce nouveau dispositif. Cependant, il convient de relativiser ce texte. Il revêt davantage un caractère politique que juridique, visant à peser sur les débats parlementaires, à l'occasion du projet de loi « Travail II » annoncé pour l'automne 2024.

Un consensus émerge néanmoins sur un point : la modalité pédagogique de l'alternance, qui a fait ses preuves et permet de découvrir la réalité du métier dans les entreprises. Si cette option est retenue, l'idéal serait de concevoir un cadre juridique qui s'appuie également sur l'entreprise d'arrivée pour sécuriser les mobilités externes, une possibilité que ni Pro-A ni le FNE-Formation n'offrent, et où TransCo a échoué. Viser un dispositif idéal, c'est aussi une manière de progresser.

Pour aller plus loin, s'inscrire au prochain Club du droit de Centre Inffo sur les reconversions.