Formation obligatoire : un retard est-il constitutif d'une faute ?
L'employeur peut-il sanctionner par une retenue sur salaire, le retard des salariés participant à une formation obligatoire ? C'est la question qui était posée à la Cour de cassation dans la décision du 20 mars 2024.
Par Valérie Michelet - Le 09 avril 2024.
Sur la légalité de la retenue sur salaire
Si une retenue opérée par un employeur sur le salaire en raison de l'absence du salarié et à proportion de la durée de celle-ci ne constitue pas une sanction disciplinaire, le fait pour un employeur d'opérer, sur le salaire de ses agents, une retenue motivée par l'exécution défectueuse de leurs obligations ou excédant la durée d'absence imputable au salarié, constitue une sanction pécuniaire interdite.
Si ce principe est régulièrement rappelé par les juges (voit notamment Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 17 janvier 2024, n)22-15.147, concernant le refus de versement d'un solde d'une rémunération variable en raison d'un licenciement pour faute grave) il n'est pas fréquent d'en voir l'application en matière de formation.
Rappelons les faits à l'origine de cet arrêt.
Le personnel navigant commercial (PNC) de la société Air France doit, pour le maintien de la validité de la licence « cabin crew attestation », suivre des actions de formation de recyclage. Pour l'organisation de ces formations, Air France a pris la décision d'interdire aux PNC l'accès à la formation en cas de retard supérieur à dix minutes ou en l'absence d'une documentation complète et à jour et de procéder à une retenue sur salaire d'une journée.
Pour légitimer sa décision de retenue sur salaire, la société arguait qu'un salarié qui n'exécute pas la prestation de travail convenue et programmée selon les directives de l'employeur, ne peut pas prétendre se tenir à sa disposition et percevoir son salaire. La retenue opérée ne pouvait donc pas s'analyser comme une sanction pécuniaire. Pour l'employeur, les salariés concernés n'avaient pas exécuté la prestation de travail convenue selon ses directives. En vertu de son pouvoir de direction, l'employeur pouvait fixer les conditions de réalisation de la journée de formation qu'il était tenu d'organiser.
L'employeur n'est pas suivi par les juges de la Cour de cassation. Après avoir rappelé que les amendes ou autres sanctions pécuniaires sont interdites (article L. 1331-2 du Code du travail) et retenu la qualification de formation obligatoire (article L. 6321-2 du Code du travail) dont découle l'obligation de maintenir la rémunération pendant la durée de l'action, les juges de la Cour de cassation approuvent les juges du fond d'avoir considéré que le retrait d'un trentième de rémunération mensuelle, consécutif au non-respect par le salarié de conditions imposées par l'employeur qui ne sont pas justifiées par un objectif légitime, constitue une sanction pécuniaire prohibée.
L'employeur avait interdit unilatéralement l'accès à la formation aux PNC ayant plus de dix minutes de retard ou ne disposant pas d'une documentation à jour. Il ne produisait aucun élément de nature à établir, de façon objective, que ce retard ou la non production de documentation à jour détenue par un participant faisaient obstacle au déroulement d'une journée de formation de recyclage. En conséquence, le salarié se tenait donc à sa disposition, et à ce titre, il devait toucher la rémunération due pour une journée de travail (article L3121-1 du Code de travail).
L'employeur n'apportait pas la preuve d'une incompatibilité objective du suivi de la formation avec un retard supérieur à dix minutes ou en l'absence de possession de la documentation à jour. Il résultait de ce constat que la pratique consistant à pratiquer une retenue sur salaire constituait une sanction pécuniaire prohibée prise à l'égard de salariés qui se tenaient à la disposition de l'employeur.
Sur la légalité de la demande des syndicats
La décision du 20 mars 2024 apporte par ailleurs un éclairage sur la légalité de la demande introduite par les syndicats.
En effet, dans cette affaire, contestant la pratique d'Air France, deux syndicats avaient assigné la société devant le tribunal judiciaire aux fins de la condamner sous astreinte à rembourser les salariés ayant subi une retenue sur salaire, ainsi qu'à des dommages-intérêts aux syndicats.
Les syndicats professionnels ont le droit d'agir en justice. Ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent (article L. 2132-3 du code du travail). Il en résulte que si un syndicat peut agir en justice pour faire constater que l'employeur inflige une sanction pécuniaire prohibée à des salariés en opérant sans motif légitime une retenue sur salaire et demander l'allocation de dommages-intérêts en réparation de l'atteinte portée à l'intérêt collectif, il ne peut prétendre obtenir la condamnation de l'employeur à rembourser les salariés concernés par de telles retenues, une telle action relevant de la liberté personnelle de chaque salarié de conduire la défense de ses intérêts.
Si les salariés souhaitent obtenir le paiement de la journée de travail qui leur a été déduite en application de la sanction pécuniaire prohibée il leur faudra donc agir individuellement. La demande de condamnation sous astreinte de l'employeur introduite par les syndicats à rembourser les salariés concernés par les retenues illicites constitue en effet une demande de condamnation à régulariser la situation individuelle des salariés concernés qui n'entrent pas dans le champ de l'action collective d'un syndicat.
Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 20 mars 2024, 22-20.569, Inédit
Pour aller plus loin (accès abonnés) - Fiche 24-9 : Rémunération et temps de travail pendant la formation