Perte d'une chance de bénéficier d'une formation : le cas du congé de formation
Dans une décision du 12 juin 2024, la Cour de cassation précise la portée du non-respect par l'employeur des dispositions relatives au congé de formation.
Par Valérie Michelet - Le 24 juillet 2024.
Bien que rendue à propos du CIF, supprimé en 2020, cette décision trouve à s'appliquer selon nous, au congé dans le cadre du projet de transition professionnelle qui a remplacé le CIF.
Rappelons préalablement les règles présidant à la demande d'autorisation d'absence : le salarié comme l'employeur doivent respecter un certain formalisme. Ils doivent notamment chacun respecter un calendrier contraint, fixé par voie règlementaire : délai pour déposer la demande, pour le salarié ; délai pour répondre, pour l'employeur.
C'est justement sur ce dernier délai que la Cour de cassation apporte une précision intéressante.
Le délai institué par voie règlementaire pour répondre au salarié n'institue pas une "garantie" au bénéfice de l'employeur
Les faits de l'affaire soumise à la Haute cour étaient les suivants : une salariée avait saisi la juridiction prud'homale aux fins de paiement de dommages-intérêts pour perte de chance de bénéficier d'un congé individuel de formation. Les juges du fond lui avaient donné raison. L'employeur s'était donc pourvu en cassation.
Son argument : il avait répondu, sans avoir consulté préalablement le CSE, avant l'écoulement du délai minimum dont il disposait pour statuer sur la demande de CIF du salarié (article R6322-5 du Code du travail, dans sa rédaction antérieure au décret n° 2018-1332 du 28 décembre 2018). Pour l'employeur à défaut d'avoir disposé, pour se positionner, du « délai de réflexion garanti » par voie réglementaire, son refus était légal peu important son oubli de consultation des représentants du personnel.
Les juges de la Cour de cassation ne l'entendent pas de cette manière.
Tout d'abord, ils rappellent que le bénéfice du CIF demandé par un salarié pour suivre des actions de formation « est de droit », sauf dans le cas où l'employeur estime, après avis du CSE, que cette absence pourrait avoir des conséquences préjudiciables à la production et à la marche de l'entreprise.
Ensuite, ils précisent que si l'employeur dispose d'un un délai de 30 jours suivant la réception de la demande de CIF pour informer le salarié de sa réponse en indiquant les raisons motivant le report de la demande, il « ne peut se prévaloir de la perte du bénéfice de ce délai auquel il a renoncé en opposant, avant l'expiration de ce délai, un refus motivé pour des motifs contraires [à la loi] ». Ayant constaté que la salariée avait respecté les délais pour déposer sa demande, les juges du fond pouvaient décider que le refus de l'employeur, non conforme aux dispositions du Code du travail, était illégal.
Si le CIF a été supprimé en 2020, le salarié bénéficie toujours du droit à demande d'autorisation d'absence pour formation dans le cadre d'un projet de transition professionnelle (PTP) (article L6323-17-1 du Code du travail).
Certes, la rédaction des textes est différente de celle qu'avait adopté le législateur pour le CIF. Le législateur précisait en effet que « le bénéfice du congé individuel de formation demandé est de droit » pour le salarié (article L6322-6 du Code du travail dans sa rédaction antérieure à la loi du 5 septembre 2018), rédaction qui avait le mérite de la clarté. Cependant, plusieurs éléments militent dans le sens de la même interprétation à propos du congé dans le cadre du PTP : ce congé est la traduction dans notre droit national du droit au congé-éducation payé prévu à la convention de l'OIT C140 - Convention (n° 140) sur le congé-éducation payé, 1974, ratifié par la France, le législateur emploie le présent (temps de l'impératif) et surtout l'employeur ne peut que "différer" le départ en congé.
Comme c'était le cas pour le CIF, l'employeur peut en effet différer le départ lorsqu'il estime que l'absence de l'intéressé "pourrait [on notera cette fois, le recours au conditionnel, l'employeur n'a pas à démontrer de « certitudes » en la matière mais doit apporter des éléments suffisamment étayés de cette potentialité] avoir des conséquences préjudiciables à la production et à la marche de l'entreprise". Un tel report est décidé pour une durée maximale de neuf mois, après avis du CSE lorsque celui-ci existe (article R. 6323-10-1 du Code du travail). Le salarié et l'employeur doivent toujours respecter un calendrier précis, fixé par voie règlementaire. Ainsi, l'employeur informe l'intéressé de sa réponse, par écrit, dans un délai de 30 jours suivant la réception de la demande de congé (article R6323-10 du Code du travail).
La décision rendue par la Cour de cassation le 12 juin 2024 nous semble donc transposable au congé dans le cadre du PTP : l'employeur qui méconnait son obligation de consulter le CSE et qui envoie sa réponse de report avant l'écoulement du délai de 30 jours ne peut considérer que sa réponse est légale. Il ne peut arguer du fait qu'il a répondu avant l'écoulement du délai fixé par le pouvoir règlementaire en raison de la nature du congé qui est un droit pour le salarié : ce délai est en effet une obligation visant à garantir l'effectivité du droit à congé, il n'est pas édicté pour protéger les droits de l'employeur.
Conclusion : l'employeur doit respecter les conditions de fond du report (consultation préalable du CSE). Qu'il souhaite ou pas répondre avant l'écoulement du délai de 30 jours est sans effet sur ce manquement.
Une fois qualifiée la faute de l'employeur, encore faut-il régler la question de sa réparation.
La perte d'une chance de voir le dossier instruit
L'employeur contestait avoir dû verser des dommages et intérêts alors que « que [selon lui] seule ouvre droit à réparation, la perte de chance entendue comme la privation d'une potentialité présentant un caractère de probabilité raisonnable ». Or en l'espèce, la demande de congé de formation de la salariée était formulée sous réserve de l'acceptation du Fongecif. Par conséquent, les juges du fond ne pouvaient pas retenir que le refus illégal de l'employeur opposé à la demande de congé formation de la salariée lui avait fait perdre une chance d'accéder à la formation, sans caractériser que la salariée établissait disposer d'une chance suffisamment sérieuse de voir sa candidature acceptée par le Fongecif.
Cette position ne pouvait qu'être censurée par la Haute cour.
La perte d'une chance implique en effet la privation d'une « potentialité » présentant un caractère de probabilité raisonnable. La perte de chance implique seulement la privation d'une potentialité présentant un caractère de probabilité raisonnable et non un caractère certain (Cass. Civ. 3e, 7 avril 2016, n° 15-14.888)
Le préjudice est donc réparable à partir du moment où il existe une "probabilité" qu'un événement ait profité à une partie. Or, les juges du fond avaient relevé que le refus illégal de l'employeur opposé à la demande de CIF avait fait perdre à la salariée une chance d'accéder à la formation par la perte du bénéfice du CIF. La perte d'une chance est ici la non-possibilité de soumettre le dossier au Fongecif et non la perte de chance de suivre la formation sollicitée.
On l'aura compris : Pour que la perte de chance soit reconnue et réparable, il suffit de démontrer la disparition actuelle d'une éventualité favorable (ici par le passage en commission, la possibilité d'une prise en charge du congé).
Cette solution nous paraît également transposable au congé dans le cadre du PTP qui fait également l'objet d'une instruction par l'Association Transitions pro en vue de son financement (article L6323-17-6 du Code du travail).
Cass. Soc. 12 juin 2024, n° 22-24.830