Fouzi Fethi, responsable du pôle droit et politiques de formation, conférences et formations, à Centre Inffo.
Le sous-traitant, un organisme de formation qui s'ignore
Et si, à bien y réfléchir, le sous-traitant n'était qu'un organisme de formation qui s'ignore ? C'est l'analyse de Fouzi Fethi, responsable du pôle droit et politiques de formation de Centre Inffo, qui livre un décryptage fondé sur l'examen de deux lois clés datant respectivement de 1975 et de 2002.
Par Fouzi Fethi - Le 25 avril 2024.
Depuis que la sous-traitance est encadrée et limitée sur le marché du CPF, de nombreux prestataires de formation sont à la recherche de repères pour caractériser cette pratique. Pourtant, ses fondements juridiques ont été établis il y a près de cinquante ans, à une époque où ce concept était pratiquement inconnu dans le marché de la formation, encore naissant.
Du bâtiment à la formation professionnelle
La notion de sous-traitance prend racine dans le secteur du bâtiment, alors en crise après le premier choc pétrolier. C'est dans ce contexte que la loi du 31 décembre 1975 a été adoptée, avec pour objectif initial la protection des sous-traitants.
Près d'un demi-siècle plus tard, cette loi demeure l'unique repère pour circonscrire le concept de sous-traitance, même au sein de la formation professionnelle. Mais dans ce domaine particulier, l'utilisation de cette appellation est très approximative, ce qui entraîne un écart entre le droit et la pratique, ainsi qu'une divergence entre le langage juridique et le langage courant. Sous ce terme, se cache l'externalisation de divers services comme l'expertise, le mentorat, le coaching, l'assistance à distance, voire l'accès à des plateformes d'apprentissage en ligne… Ce qui rend floue la frontière entre la prestation de services et la sous-traitance.
Enchaînement d'au moins deux contrats avec un lien direct
Pour éclaircir cette notion, il est donc nécessaire de se tourner vers la loi de 1975. Selon son article premier, la sous-traitance implique un contrat entre l'entrepreneur principal et le sous-traitant, en plus du contrat initial entre le maître de l'ouvrage et l'entrepreneur principal. Autrement dit, la sous-traitance se traduit par un enchaînement d'au moins deux contrats (marché principal et sous-traité) avec un lien direct entre eux, garantissant la soumission du second au premier. Ce lien doit se manifester par une relation de dépendance du second contrat par rapport au premier. Plus précisément, le second contrat doit avoir pour objectif principal et exclusif d'assurer l'exécution, en totalité ou en partie, du contrat principal afin d'être qualifié de sous-traitance.
En formation professionnelle, le contrat principal est strictement dédié à la réalisation d'une prestation de formation professionnelle, qu'il s'agisse d'une action de formation, d'un bilan de compétences, d'une VAE ou d'une action par apprentissage. Cet objet est le même indépendamment du dispositif de financement ou de la manière dont le contrat est formalisé : qu'il s'agisse d'une convention de formation avec une personne morale, d'un contrat de formation avec une personne physique ou des conditions générales d'utilisation (CGU) avec un titulaire du CPF.
Ce qui signifie que le second contrat ne peut être qualifié de contrat de sous-traitance que s'il garantit l'exécution du contrat principal, à savoir la réalisation totale ou partielle de la prestation de formation professionnelle. A contrario, si ce second contrat a un objet différent, il doit être exclu du champ de la sous-traitance. Il en sera ainsi pour tout contrat ayant par exemple pour objet la conception, la commercialisation ou encore l'évaluation de ladite prestation.
Réaliser une prestation de formation professionnelle
Réaliser une prestation de formation professionnelle en tant que sous-traitant implique pour ce dernier de respecter strictement le cadre légal qui régit cette prestation. Cette exigence découle de la relation de dépendance qui lie le contrat de sous-traitance au contrat principal. Ainsi, par exemple, réaliser tout ou partie d'une action de formation, requiert de la part du sous-traitant, en vertu du marché principal, de mobiliser des moyens pédagogiques appropriés, incluant au minimum un encadrement pédagogique et un suivi, dans le but d'atteindre les objectifs assignés à cette action.
Il faut donc exclure du champ de la sous-traitance les contrats dont l'objet est de fournir un témoignage, une expertise, un soutien technique ou administratif, une évaluation ou une simple animation de groupe. Bien que ces contributions puissent enrichir la réalisation de l'action de formation en question, elles ne peuvent pas être qualifiées, prises individuellement, d'actions de formation.
Obligation de déclarer son activité
Il en résulte qu'en France, un sous-traitant est de facto un organisme de formation qui souvent s'ignore. Pourtant, cette réalité juridique perdure depuis plus de 23 ans, depuis l'entrée en vigueur de la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002, laquelle impose à toute personne, qu'elle soit publique ou privée, personne morale ou physique, réalisant des prestations de formation professionnelle, de déclarer son activité à l'administration. La qualité d'organisme de formation découle donc de l'exécution de la prestation et non de sa conception, sa commercialisation ou son évaluation. Ainsi, un sous-traitant, par sa nature même de simple exécutant du contrat principal, est soumis à cette obligation.
Bien qu'initialement, l'idée de l'exempter ait été envisagée, elle a été abandonnée lors des débats parlementaires. Les préoccupations de l'époque concernaient davantage les dérives sectaires que les fraudes potentielles. Au-delà de l'argument avancé, cela souligne que, pour le législateur, recourir à un sous-traitant équivaut à recourir à un organisme de formation. Malgré cette clarification, cet épisode est largement méconnu dans le domaine de la formation professionnelle, comme en témoignent les débats persistants ultérieurs sur cette question, même parmi les juristes.
Quelques spécificités pour l'apprentissage et le CPF
Depuis lors, rien n'a changé sur le plan juridique, ou presque.
Une seule exception a été introduite pour l'apprentissage suite à sa libéralisation : les entreprises et les établissements d'enseignement à qui un CFA a confié la réalisation d'un ou plusieurs enseignements sont les seuls exemptés de déclarer leur activité à l'administration.
Quant au marché du CPF, les récents changements visent principalement le prestataire donneur d'ordre référencé sur la plateforme MCF. Dorénavant, ce dernier doit vérifier et justifier auprès de la Caisse des Dépôts que son sous-traitant est un organisme de formation offrant les mêmes garanties que celles qui lui ont permis d'être référencé sur cette plateforme. Cela implique notamment pour le sous-traitant la détention de la certification Qualiopi, et, le cas échéant, l'autorisation de préparer une certification professionnelle enregistrée dans l'un des deux répertoires nationaux.
Pour le reste, rien n'a changé, si ce n'est la redécouverte de deux lois, datant respectivement du 31 décembre 1975 et du 17 janvier 2002 !