Employeur : l'entretien professionnel sous le regard du juge
Les règles concernant l'entretien professionnel, issues d'un article unique du Code du travail, font l'objet d'une interprétation, certes encore embryonnaire, des juges. Petit zoom sur cette interprétation prétorienne en construction.
Par Valérie Michelet - Le 14 novembre 2022.
Lien entre entretien professionnel et obligations de formation de l'employeur
Pour les juges de la Haute cour, les obligations sociales pesant sur l'employeur consistant respectivement à organiser l'entretien professionnel et à s'assurer de l'adaptation de ses salariés à leur poste de travail ainsi qu'à veiller à leur capacité à occuper un emploi, sont étroitement imbriquées. En témoigne, dans deux décisions récentes, le visa commun des textes, qu'ils soient de nature conventionnelle ou législative, posant les conditions de ces obligations (Cas. soc. 16 septembre 2020, n°18-19.889- Cass. soc. 6 juillet 2016 n° 15-18.419).
La Cour de cassation n'hésite pas à préciser qu'en l'absence de tenue des entretiens obligatoires, l'employeur n'est pas fondé à s'exonérer de sa responsabilité plus large, concernant ses obligations de formation.
Dans ces deux affaires, la Cour de cassation a en effet censuré les décisions des Cours d'appel. En jugeant que l'employeur n'avait pas violé les obligations qui lui incombent en matière de formation professionnelle alors qu'elles constataient que le salarié n'avait pas bénéficié des entretiens professionnels obligatoires, les Cours d'appel, qui ne tiraient pas les conséquences légales de leurs constatations, avaient violé les textes applicables[1].
La conclusion est claire : en ne réalisant pas les entretiens professionnels prescrits (dans la décision du 6 juillet 2016 par la convention collective, par le législateur dans la décision du 16 septembre 2020), l'employeur ne peut considérer qu'il a rempli ses deux obligations : adaptation au poste de travail et maintien de la capacité à occuper un emploi, obligations posées par l'article L6321-1 du Code du travail, peu important par ailleurs que le salarié ait suivi des formations, à la demande de son employeur ou de sa propre initiative, ou encore qu'il n'ait jamais manifesté sa volonté de bénéficier d'une formation. Ces éléments sont jugés inopérants par la Haute cour.
N'est pas davantage recevable, le fait que le salarié ait bénéficié d'un entretien individuel d'évaluation. Les entretiens professionnels ne portent en effet pas sur l'évaluation du salarié (arrêt du 6 juillet 2016, préc.).
De l'examen de ces décisions, il ressort que pour la Cour de cassation, l'entretien professionnel fait partie intégrante des obligations de formation pesant sur l'employeur.
On aurait pu penser que sa portée soit de simple nature procédurale : baromètre [2] du respect par l'employeur de ses obligations en matière de formation professionnelle, son absence n'aurait pas d'effet si le salarié a bénéficié de formations, mais il n'en n'est rien. L'entretien professionnel est une composante substantielle et autonome des obligations de formation pesant sur l'employeur. Il ne peut être remplacé par un autre outil (entretien d'évaluation) et on ne peut constater son absence et considérer que l'employeur a rempli ses obligations en matière de formation professionnelle.
Sanctions de l'absence de tenue de l'entretien professionnel
L'employeur peut être condamné à verser des dommages-et-intérêts au salarié qui aurait été privé d'entretien professionnel pour « mauvaise exécution du contrat de travail » (arrêt du 6 juillet 2016 préc.) tenant à la « violation de l'obligation légale et conventionnelle de formation et d'entretien professionnel » (arrêt du 16 septembre 2020, préc.).
Compte tenu de la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle le salarié s'estimant victime d'un manquement contractuel ou légal de son employeur doit apporter la preuve de la réalité et de l'étendue de son préjudice, il est probable que l'absence d'entretien ne devrait pas causer un « préjudice nécessaire » (Cass. soc., 13 avril 2016, n° 14-28.293). Cette jurisprudence a d'ailleurs été mise en œuvre concernant l'obligation d'adaptation pesant sur l'employeur. L'inobservation par l'employeur de son obligation de formation n'emporte pas sa condamnation automatique à verser des dommages-intérêts au salarié, qui doit justifier le préjudice qu'il estime avoir subi (Cass. soc., 3 mai 2018, 16-26796) .
Des entretiens professionnels ont également été rendus obligatoires dans le cas de certaines absences, notamment, après un congé maternité. L'absence d'organisation de cet entretien professionnel peut-il être une cause de nullité du licenciement ? La Cour de cassation, saisie d'une demande d'avis, a tranché par la négative sur cette question (Cass. soc., 7 juillet 2021, n° 21-70011). Pour les juges, il ne résulte ni de l'article L1225-27 du Code du travail (obligation pour l'employeur de proposer un entretien professionnel après un congé de maternité), ni de l'article L1235-3-1 du même Code (cas de nullité du licenciement), que l'absence d'organisation de l'entretien professionnel après un congé de maternité pourrait être, à elle seule, une cause de nullité d'un licenciement ultérieurement prononcé.
Enfin, dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, lorsque le salarié n'a pas bénéficié, durant les six ans précédant l'entretien dit d'état des lieux, des entretiens bisannuels (ainsi que des entretiens de retour après une longue absence) et d'au moins une formation autre qu'obligatoire –au sens de l'article L6321-2 du Code du travail - un abondement de 3 000 euros est inscrit à son compte personnel de formation. Le respect de cet abondement peut faire l'objet d'un contrôle des agents du Service régional du contrôle de la Dreets (article L6323-13 du Code du travail).
Les règles de déclenchement de cet abondement sont incertaines : L'employeur respecte-t-il son obligation à partir du moment où l'un des deux critères est justifié ou bien doit-il justifier des deux critères de manière cumulative ?
Pour l'administration, ces conditions sont cumulatives (Questions réponses Entretien professionnel - juin 2022) mais la position des juges du fond qui se dessine est sensiblement différente : dans deux décisions, les juges du fond ont en effet décidé que si l'employeur ne démontrait pas avoir organisé les entretiens professionnels bisannuels, dès lors que les éléments du dossier permettent d'établir que le salarié avait bénéficié d'actions de formation et d'une progression salariale [3], les conditions prévues par les dispositions du Code du travail n'étaient pas remplies pour déclencher l'abondement de son compte personnel (CA Paris, pôle 6 - ch. 10, 2 déc. 2020, n° 18/05343. - CA Dijon, Chambre sociale, 3 mars 2022, n° 20/00115).
Cette position mériterait d'être confirmée par la Cour de cassation ou le Conseil d'Etat.
On rappellera en effet que le Conseil d'Etat pourrait en effet être saisi à la suite d'un contrôle opéré par les agents du service régional de contrôle de la Dreets. Ces derniers peuvent en effet, dans les entreprises occupant au moins 50 salariés, contrôler l'application des règles relatives à l'entretien professionnel et, lorsque ces dernières ne sont pas respectées, notamment s'il n'y a pas eu abondement du CPF du salarié concerné, la mettre en demeure de procéder au versement de l'insuffisance constatée dans le respect d'une procédure contradictoire (article L6323-13 du Code du travail).
oOo
[1] Dans l'affaire ayant donné lieu à la décision du 6 juillet 2016 - article 1 du titre VI de l'accord du 9 septembre 2005 relatif à la formation professionnelle dans le secteur de l'édition et l'article L6321-1 du code du travail - dans l'affaire ayant donné lieu à la décision du 16 septembre 2020 - article 17 de l'accord du 9 février 2015 de la convention collective nationale de la banque et articles L6321-1 et L6315-1 du code du travail combinés
[2] Ce rôle de « baromètre » est la finalité qui avait été attribuée à l'entretien professionnel dans l'exposé des motifs du projet de loi relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale. Il y était en effet précisé que la généralisation des entretiens professionnels – jusque-là mis en œuvre par voie conventionnelle – devait permettre de « mieux apprécier l'évolution des compétences des salariés », et de « renforcer le suivi par l'employeur des compétences et des formations des salariés ». Dans leur rapport, les sénateurs affirmaient quant à eux que « la création, (…), de cet entretien professionnel s'inscrit dans le processus de responsabilisation des employeurs envers la formation de leurs salariés et dans le cadre de l'obligation qui est la leur de préserver leur employabilité (*)
[3] Ces décisions ont été rendues en application de l'article L6315-1 du Code du travail dans sa version issue de la loi du 5 mars 2014 qui prévoyait un abondement du CPF du salarié dès lors que les entretiens obligatoires n'avaient pas été organisés et que le salarié n'avait pas bénéficié d'au moins deux mesures sur les trois suivantes : 1° avoir suivi au moins une action de formation ; 2° avoir acquis des éléments de certification par la formation ou par une validation des acquis de son expérience ; 3° avoir bénéficié d'une progression salariale ou professionnelle.
Pour aller plus loin (accès abonnés) - Chapitre 25 - L'entretien professionnel